En trail off road, actuellement, il y a les randos des « pros » clefs-en-main qui sont organisées jusqu’au moindre bout de gravier comme le Paris-Dunkerque. Monnayant une paire de zéros sur un chèque, tout y est compris, balisé, (r)assuré pour un kif garanti. C’est à mes yeux une formule idéale pour les vrais débutants. Et même pour les autres qui veulent découvrir de nouveaux camarades de jeu, de nouvelles traces, de nouveaux paysages. Bref, une belle expérience.

Mais ce n’est pas la seule façon de pratiquer la rando off road. Si tu n’as pas de thunes, tu peux aussi faire ça à l’ancienne, une rando trail « vintage » comme diraient les hipsters : une carte IGN,  une bonne bande de potes, des vieux tromblons à tétines et une hache. Partir de la cour de sa baraque et voguer à l’aventure au fil des pistes, ayant pris soin d’oublier à la maison son téléphone et tout ces machins connectés. Sur la moto, juste l’essentiel : de quoi la refaire sur le bord de la route et une toile de tente. C’est dans cet esprit là que début mai nous sommes montés sur nos machines. Au programme une immense boucle de 1000 bornes : Clermont, le plateau de Gergovie, le Puy de Dôme, le plateau des Millesvaches, le lac du Chammet, le Mont Bessou, le Mont-Dore, Issoire, Brioude. Les 3/4 du parcours sur pistes bien entendu… 3 jours de roulage, 2 nuits en bivouac sauvage, 1 slip. Nous étions onze copains sur nos bousins. C’était la première édition de l’officieuse Trans’AuvergaLimouzi. Et putain que c’était bon.

Blitz en aurait fait un long métrage en sépia, ici vous devrez vous contenter d’un simple texte avec quatre photos. Cette fois-ci, on n’avait tout simplement pas envie de se regarder faire de la moto, on avait juste envie de rouler.

J’ai souvent été en queue de ce beau peloton qui s’égrenait à flanc de colline. Au début, car il me fallait me familiariser avec ma toute nouvelle bécane : un 660 XTZ de 92 acheté la semaine d’avant pour 500 balles. 67 000 bornes au compteur et elle tourne comme une horloge japonaise. Il faut dire qu’Olive et Ju m’en ont fait une révision aux petits oignons… Mais très rapidement je restais à l’arrière pour avoir une vue d’ensemble sur notre joyeuse bande des « Dirty pirates ». Il y avait une poésie rare dans ces motos et ces tenues multicolores soulevant des nappes de poussière. Au fil des jours, de pierriers en ornières, d’éclats de rire en phrases philosophiques, j’ai compris une chose. Ce qui allait être important dans cette rando, ce n’était pas les paysages magnifiques, ce n’était pas la météo parfaitement ensoleillée, ce n’était pas l’aspect sportif de la chose (car ça l’a été sacrément), ni même les joies de la vie into the wild. Ce qui était important, c’était eux. Mes dix compagnons de voyage. Et c’est d’eux dont j’ai envie de vous parler aujourd’hui.

Rendez-vous est donné à Saint-Paulien, un village au dessus du Puy. A 8h on est tous là sauf… l’organisateur. Tom a décidément une malédiction avec la D906. Comme lors de la rando TT pirate, il a déchaussé au niveau d’Ambert. Sauf qu’on est dans le secteur le plus motard friendly du monde et un pépé a passé sa tête à la fenêtre, lui offrant le café et… un coup de compresseur. Bienvenue en Auvergne ! Pour une fois, il ne roule pas sur sa R100 GS mais sur le 600 XT du daron, l’occasion de lui dépoussiérer un peu le piston. D’ailleurs, s’il y en a bien un qui ne va pas bouffer de poussière durant ces 3 jours, c’est bien Tom : ouvreur en chef, grand maître du tracé nous n’avions qu’à nous laisser promener. Enfin, essayer de le suivre plutôt. Franc comme un St-Nectaire, charismatique comme le vrai bougnat qu’il est, Tom est un formidable personnage. Véritable couteau suisse rompu au bivouac sauvage par des années de pratique il n’a pas un gramme de superflu dans ses valises et en même temps, il n’est rien qu’il n’ait pas. Pour moi il est une sorte de trappeur des temps modernes, une incarnation vivante de l’esprit trail.

Toujours derrière lui, il y a le discret Rémi. Il est un peu le padawan de Tom. D’élève au CFA il est devenu son élève en moto. Forcément, quand il l’avait vu arriver au bahut sur un vieux Varadero à la place d’un scoot de kéké comme les autres, Tom avait senti le « poulain ». Aujourd’hui, le « gamin » roule sur un Ténéré blanc et rouge d’antan. Avec son mégot au bec en permanence, rien ne semble l’affoler, pas même lorsqu’il pète sa poignée de frein sur une chute. Et il avait raison de rester cool : mon père en avait une en rab. Un coup de tournevis et vogue la galère. Idem quand il a commencé à perdre son porte-paquet. C’est que ça vibre ce tromblon. Et quand j’ai réussi à paumer la clef de contact de mon XTZ (sans qu’il s’arrête de tourner pour autant), il nous fallait sa patience pour refaire les deux derniers kilomètres au ralenti, les yeux rivés au sol. Bien sur, la clef était tombée… dans mon ventilo.

Parmi les « nouveaux » de la bande figuraient Steph et son vieil Africa Twin multicolore. Alors lui, on ne sait pas où Tom nous l’a déniché. En le voyant débarquer avec son petit jet, sa chemise à manches courtes de randonneur et ses bottes de chantier, on s’est dit « c’est quoi ce touriste ? » Sauf que l’habit ne fait pas le moine et encore moins le motard. Hyper balèze au guidon, il va surtout marquer les esprits par sa capacité de compactage : une seule tenue, une mini-tente, un mini-duvet. Et son énorme sac alors ? De la bouffe ! Des kilos de trucs à boire et à manger dont un inoubliable pudding. Ce mec là, il a le partage en lui. Et quand le second soir il a décidé d’aller se laver dans le lac (10°C) entièrement à poil, il a définitivement gagné sa place chez les Dirty Pirates. Un vrai taré. Aujourd’hui j’ai une petite pensée émue pour sa jolie paire de fesses qui est coincée dans un hosto suite à une rencontre surprise avec une mémé en Clio. Son Africa y est restée, lui est pas mal amoché. Cette sortie était sa dernière avant un petit moment. Mais je suis sur qu’on est déjà dix prêts à se cotiser pour y payer une nouvelle brêle. En souvenir d’un pudding offert au pied du Puy-de-Dôme…

Fabien de son côté remontait sur une moto après une longue pause hivernale gracieusement offerte par une jambe pétée lors d’une sortie enduro. Durant des mois – pour patienter – il a restauré du haut de ses béquilles une superbe 750 Super T. Cette sortie était le baptême de la moto. Et elle a été baptisée à la Dirty Pirate : une chute à gauche, une chute à droite. Mazel Tov ! Bon, ok, il a du refaire le T de fourche le matin du second jour. Mais c’est ça les motos de caractère bordel. D’humeur toujours égale, suivant de près toute l’actu moto, il m’a donné plein de bonnes idées pour le webzine. Il ne faut pas croire, c’est au coin d’un feu de camp perdu au milieu de nulle part et entouré de motards pur jus que l’inspiration vient, pas dans les salons parisiens. Il est des sages comme Fabien qui n’en font pas des caisses mais qu’il faut savoir écouter.

Cette fois Max pouvait être de la partie. Il a déjà un paquet de balades au compteur avec la bande mais c’était une première rencontre pour nous deux. Benjamin du groupe, il roulait sur la brêle la plus récente : un XTZ avant-dernière génération. Un truc flambant neuf si on le compare à nos bousins. D’un calme olympien en toutes circonstances, doté d’un humour aussi pétillant que son regard, Max pourrait être partout chez lui je pense. Que ce soit dans l’Himalaya ou au fin fond du désert de Gobi il serait le même c’est certain, souriant avec flegme. Prévenant, il avait même apporté une bouteille de Ricard pour désinfecter les plaies. Intérieures. Si, si, ça peut arriver. Nous on a préféré faire du préventif du coup.

Il y avait aussi Julien que vous connaissez bien ici. C’était sa reprise en off road après une vilaine chute dans un sentier ardéchois où il y avait laissé son poignet il y a quelques mois. Au guidon de son 400 DRZ, il a eu durant la seconde journée ce que l’on pourrait appeler un « déclic ». Cet excellent routard passé depuis peu sur terre avait du mal à appréhender la logique du TT. Ben c’est bon, problème résolu. Et vas-y que je fais des travers, et vas-y que je mets du gros gaz. Bon et vas-y que je me vautre un peu bien sur… Rome ne s’est pas construite en un jour bordel. Par contre, en termes de bivouac, attention, là on a un pro. Enfin, un écolo de l’extrême plutôt. Le mec, quand il démonte sa tente, il relève l’herbe qu’il a aplatie. Je crois qu’on va l’appeler Geronimo. Un jour il faudra qu’il nous fasse un texte expliquant comment il arrive à faire coexister sa green philosophie avec son goût pour les tétines. En tout cas, je peux vous promettre qu’on a pas laissé traîner un papier par terre. On ne risquait pas avec notre Nicolas Hulot local.

Olivier, juché sur son Africa, était aux anges. Je ne l’ai pas vu perdre son énorme banane en travers du visage de toute la rando. Il faut dire qu’elle avait une saveur spéciale pour lui cette balade : son père et son frère étaient présents. Des années qu’ils n’avaient plus passé un moment comme ça tous les trois, éloignement géographique oblige. Olive avait prêté son 350 DR à son daron, moi mon 600 XL au frangin. C’était en quelque sorte une reprise pour ces deux derniers. Olivier, déjà qu’il est un peu speed en temps normal, je ne vous laisse pas imaginer quand il est content. Il aurait été sous coke que c’était pareil. Au guidon, il cherchait la merde jusqu’à ce qu’on se tire la bourre avec lui : vas-y que je t’éclabousse, vas-y que je te fais l’inter. Insupportable. Au bivouac, c’était radio-Olivier. Insupportablement… drôle. Il nous a notamment expliqué que son petit « truc » pour monter les pneus c’était de mettre du gel anal sur les flancs. Je vous laisse imaginer le millier de vannes qu’il a eu à subir suite à cette « révélation ».

Petit point intéressant : je n’avais jamais vu tomber Olivier avant de le voir rouler avec… son père. « Eh pa’, eh pa’, regarde, eh pa’… tatras ». Il faut dire que quand on voit la famille Zufferey au complet on comprend mieux le pet au casque de notre pilote. Ils ne savent pas rouler autrement qu’à toc. Et le pire, c’est qu’ils sont tous surdoués. Tu peux être sûr que quand ce n’était pas un des fistons qui te suçait la roue c’était… le père. Incorrigibles. Heureusement, ils ont tous les trois des cœurs aussi grands que leur talent.      

Enfin, il y avait mon père que j’avais réussi à convaincre après de longues tractations à partir avec nous. Ce n’est pas rouler pendant trois jours non-stop qui lui faisait souci, c’était de dormir sous la tente. La dernière fois, c’était il y a trente ans environ. Et autant te dire que le matelas d’un centimètre que je lui ai fait acheter ne l’enthousiasmait pas des masses. Il a fini par se décider, faisant promettre à ma mère d’aller le chercher à Clermont s’il n’avait pas assez bien dormi. Le troisième jour, il me dit : « Avec cette bande de frappés, je crois qu’en fait je supporte de dormir sous la tente ». Tiens donc.

Bon, bien sur, comme chaque fois, en bon mécano, il avait tout prévu, révisé 15 fois son 350 DR, pris tout en double et il est tombé en rade… dès le départ. Démarreur HS. Pendant 3 jours on l’a démarré à la poussette. C’est le problème d’en prendre trop soin des machines, elles deviennent exigeantes.  

Tout cette joyeuse bande a donc roulé et vécu ensemble durant trois jours dans un cadre idyllique. La première journée a été très rythmée du Puy-en-Velay au Puy-de-Dôme. Bon, ok, ça arsouillait un peu même. Le second jour, plus coriace sur le plan technique a laissé des bosses mais pas de blessures, à part quelques ego. Et il faut dire que notre bivouac au bord du paradisiaque lac du Chammet nous a requinqué comme jamais. Enfin, le troisième jour, on a traîné sur le plateau des Millevaches, se promettant d’y revenir cet hiver. Et à partir de la tour du Mont Bessou nous sommes rentrés par de minuscules routes jusqu’au Puy. J’ai pu notamment y briller par mon incompétence sur bitume. Ma mutation en Ardèche va me faire du bien sur ce plan là j’espère.       

Plus que le parcours – pourtant parfait – ce furent les bivouacs qui pour moi ont été des moments absolument magiques. Quand autour du feu de camp tu refais le monde pendant des heures, en faisant tourner le pâté et le quart de rouge, tout semble simple et naturel. Chaque soir la nuit était tombée depuis bien longtemps avant que l’on se résigne à aller se coucher. Il faut dire que le temps semblait s’arrêter quand nous étions groupés autour de notre petit feu au milieu de l’immensité.

Nous étions juste dans un beau coin de France, à deux pas de la civilisation. Et pourtant, nous étions dans un autre monde

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Bonus : Tom avait sa Go Pro sur le casque et a monté en loosdé une top vidéo. Histoire de vous donner une petite idée des passages techniques…

14 Commentaires

  1. Ce week-end, je vais faire 1200 km pour rejoindre des potes à la montée historique de Charcuble. J’arriverai samedi en fin de journée, on s’embrassera, on boira des choses bizarres qui feraient démarrer une moto russe, on mangera autour d’une table improvisée, on reboira des coups. Quand nous sommes ensemble, nous ne faisons rien, mais nous veillons à bien le faire. Puis on dormira inconfortablement dans des tentes trop petites pour nos âges avancés. Le dimanche matin, je repartirai avant le départ de la première montée, histoire d’être à l’heure et frais au boulot lundi matin. Avec ma vieille 400 et mon refus des routes à plus de deux bandes, ça fera 20 heures de voyage pour une saucisse trop cuite et un verre d’alcool frelaté.
    Difficile de faire comprendre l’indispensabilité de tout ça, le bonheur d’être en route autant que celui d’être avec eux.
    Alors, te lire dès potron-minet, quel plaisir.

  2. Super compte-rendu qui, encore une fois, donne bien envie de se lancer dans ce genre de périple !
    Par contre à regarder les vieux brélons d’occas’, j’aurais tendance à me limiter aux 600 cc et pas trop carénés car dans les passages techniques les gros trails m’ont pas l’air d’être hyper à l’aise…

    • Exact. A mes yeux, pour faire du trail en France, un mono 600 type DR, XT, XL ou autre c’est parfait. Moins c’est un peu short sur les grande transitions routières. Plus c’est beaucoup de poids pour pas grand chose.

  3. Comme d’habitude !
    Super compte-rendu Je me suis vraiment régalé
    Merci Cigalou , Cigalettte …..pour le partage , et qui sait un jour peut-être ferais-je partie d’une vos inoubliables excursions !

    Cdt
    w

  4. Ca donne sacrément envie…
    Si j’ai le temps de réparer mon cadre, j’y serais (dans le massif central) cet été.

    Longue vie à VDM

    F.

  5. Merci d’avoir partagé cette épopée avec nous. Autant en photo qu’en vidéo tes reportages sont super.

    En espérant un jour vous croisé sur les pistes,

    Seb.

    P.S. ca détend bien de voir ca quand on est au boulot 😉

  6. Plein les mirettes .
    du beau du vrai du lourd. Le filmeur il envoie sacrément , y’ pas à dire !
    Quand je pense que le me « désolais » à chercher des gus pour rando-bivouaquer ….
    Je peaufine tout ça :
    stage de bivouac 3 saisons, mise en application dans ces contrées corréziennes
    test full matos de mon drz dans une rando plus peinarde ( beaucoup)
    rando pedibus en suivant avec parapente à la clef
    et brouzouf ou pas , je vais m’inscrire et tenter de vous suivre les gars .
    J’ai pris 30 piges de moins d’un coup ..merci
    (avant j’étais prof maisi c’était avant ; la moto j’ai jamais arrété )

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