Cardan, chaîne ou courroie ? L’éternel débat, l’éternelle question, insipide et inutile, à laquelle nous nous sommes tous au moins une fois confrontés. Des trois C, lequel choisir ? Pour ma part, je m’en fous. L’essentiel, c’est que la roue arrière tourne. Et puis de toute façon, ce n’est pas l’objet de l’article…

Je suis le seul motard de ma famille. J’ai bien un cousin qui a passé le permis et acheté une meule, mais aux dernières nouvelles elle moisissait encore sur pied au fin fond de son garage depuis des années. La seule trace généalogique concernant la moto se résume en une anecdote, celle qui met en scène mon grand père, alors jeune homme, qui s’est emplâtré dans une porte de grange avec la moto d’un copain, au lendemain de la guerre. Avouez que ça fait léger, comme palmarès. Pour le pedigree, on a vu mieux.

Personne, donc, ne peut décemment revendiquer être à l’origine de ma passion. Mon père, peut-être un peu. Après tout, c’est lui qui m’a posé les fesses sur une petite 50 quand j’étais gamin, et que le moins qu’on puisse dire, c’est que l’événement à été l’élément déclencheur de tout le reste. Mais en aucun cas il ne m’a transmis de culture motarde, ne s’y étant jamais vraiment intéressé lui-même. Moi-même, devenu adulte et enfin motard, je n’ai jamais cherché à partager cet amour avec quiconque. C’est trop intime. Tellement intime que je ne me l’explique toujours pas. C’est là, c’est tout. C’est comme ça. Qu’est-ce que j’allais emmerder le monde avec mes motos ? Gonfler les innocents en leur disant « Eh, j’aime la moto mais je sais pas pourquoi » ? Super…

Puis mes enfants sont arrivés. Et de fait, j’ai fini par me poser la question de la transmission -ou non- de cette passion. Volontaire ou involontaire ? A mon avis, la question ne se pose pas. A moins de partir rouler en secret la nuit, quand les gosses dorment, de garder la brêle cachée sous une bâche dans un garage de location situé à vingt bornes de la maison, il y a peu de chance pour qu’ils échappent à la contamination. La vraie question est de savoir si les encourager à mettre leurs petits pas dans les nôtres est une bonne ou une mauvaise chose. Aujourd’hui, je n’en sais toujours rien.

Ma fille aînée avait douze ans quand j’ai repris la moto, après ma traversée du désert (non, pas en Africa Twin… En bagnole, la traversée). Elle a vécu avec moi ces joyeuses retrouvailles, je l’ai emmenée avec moi pour des ballades, elle a assisté aux séances de mécanique, pris plusieurs fois la pause pour immortaliser de bons moments et assisté aux interminables conversations avec les copains…

                                                                             (Tu quoque, filia )

Mais tout cela, ce n’était pas pour faire d’elle une motarde pur jus et à tout prix. C’était simplement pour partager de bons moments avec ma fille, lui montrer ce que son père aime. C’est grâce à toutes ces heures passées non loin d’un guidon qu’elle en a appris un peu plus sur lui. Elle a pu voir qui il était vraiment, qui se cachait sous le masque de pater familias, apprendre à vraiment connaître l’homme en oubliant le géniteur. Elle va en avoir dix-huit, et je pense que son rapport à la moto reflète surtout pour elle ces moments-là. Elle veut passer son permis, en avoir une, elle sait quel style lui plait, a une idée assez précise de sa pratique future, mais je pense qu’inconsciemment, la moto sera toujours pour elle un moyen de rester avec son daron, un mélange de souvenirs, d’émotions et de liens filiaux.

Le petit dernier, lui, est né avec les deux pieds dedans. Depuis qu’il sait marcher, il papillonne entre la moto de papa et celle de maman. La grande majorité de mes amis, ses « tontons », sont motards et après avoir regardé grandir ma fille, ils entourent de nouveau le fiston. Or, ma position n’a pas changé. Je n’ai pas pour but d’en faire un mono-maniaque qui ne parle que de ça, ne connait que ça, ne s’intéresse qu’à ça. Il grandira au milieu des meules certes, m’accompagnera s’il me le demande mais quoi qu’il en soit, il choisira sa voie. Je ne le forcerai jamais à venir bricoler avec moi ou à discuter road-trip. Comme pour ma fille, il fera de cet héritage ce que bon lui semblera. S’il se détourne de la moto, je ne le vivrai pas comme un échec éducatif. Surtout si c’est pour se plonger dans une passion bien à lui, une passion qui, comme la moto pour moi, ne lui vient de nulle part. S’il se passionne pour le foot, par exemple… Non. Pas le foot. Mauvais exemple. Mais s’il vient à se passionner pour les abat-jours, ben je serai content du moment qu’il s’éclate.

                                      (En attendant, c’est mal barré pour les abat-jours)

Les seules choses que je transmettrai donc à mes enfants au sujet de la moto, c’est de se protéger, d’être prudent, de tourner la tête quand on crache son chewing-gum en roulant et d’ouvrir sa visière avant d’éternuer. Pour le reste, ils se démerderont tous seuls. Parce que si cette passion les anime, elle doit être la leur, propre, et non pas une sorte d’embrigadement narcissique des parents. Ils doivent y trouver ce qu’ils recherchent, ce dont ils ont besoin, ce qui parle à leurs tripes. Ils ne doivent en aucun cas collectionner les casques et claquer leur argent de poche dans Moto mag juste parce qu’on les a élevés comme ça. Je n’ai pas la naïveté ni l’arrogance de clamer haut et fort que grâce à la moto, j’ai appris à mes enfants les vraies valeurs, le respect, l’entraide, le V avec les doigts quand on se croise. Parce que ces valeurs là sont universelles, que des cons il y en a aussi chez les motards et que je trouve dangereux de semer les graines du sectarisme quel qu’il soit…

En ce qui les concerne, la moto ne m’a servi, ne me sert et ne me servira qu’à passer de bons moments avec eux, à fabriquer des souvenirs, et à leur parler de moi en leur parlant d’autre chose.

Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
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13 Commentaires

  1. Sublime!
    Une autre façon d’aborder le sujet que j’ai moi-même exploité ici:
    http://griselda-la-piloteuse.skyrock.com/3307255460-Quand-ton-ado-veut-un-skoteeere-Partie-1-2.html
    http://griselda-la-piloteuse.skyrock.com/3307548904-Quand-ton-ado-veut-un-skoteeere-Partie-2-2.html
    Il me tarde de lire ce qu’en dira notre Cigalou mais pour ça il faut attendre encore quelques années que sa fifille grandissent car ce n’est qu’aux portes de l’evenement qu’on peut savoir ce qu’on ressent.
    Merci beaucoup pour ce très beau texte.

  2. Belle romance et joli plume que celle d’un motard désireux de partager sa passion avec ses enfants en ne poussant pas mais en éveillant leur curiosité et la passion de leur papa. Chose que j’essaie de faire chaque jours avec les mienne espérant se croiser un jour en Haute Savoie

  3. Magnifique! Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites!
    Je me suis complètement retrouvée dans le concept de transmission à ses enfants, par le truchement de sa passion, de ce que l’on est vraiment, tout au fond de soi.
    Dans mon cas, il s’agit d’une autre monture: le cheval… génération spontanée également, inexpliquée rationnellement aussi… jamais d’obligation, pour mes enfants, puis maintenant mes petits-enfants, mais la proposition, la possibilité d’être là, pendant les soins, les visites au pré et, éventuellement, si et quand le souhait s’en fait sentir, enfourcher la bête et partir en forêt pour un moment de bonheur partagé…

  4. ouais ben moi j’aimerai savoir comment interdire à ma fille de 19 ans de m’interdire de vendre ma xj900 violette ………!
    et pis aussi c’est quoi ces pneus trails sur ta blanche et bleue hein c’est quoi et en quelle taille !
    excellent réré excellent !! merci pour ces minutes !

    • Une violette ça se garde, elle a raison ! 🙂

      Les pneus trail c’est du Heidenau (à chambre à air) en 120 90 18 arrière et 110 80 18 avant. Les tailles standard, quoi. Ca passe au chausse-pied, mais ça passe.

  5. Magnifique !
    Toutes ces questions que je me pose sans cesse. J’ai trois enfants qui n’ont même pas 10 ans mais ils n’arrêtent pas de me parler de ma moto et de motos en général. Surtout le plus grand qui a bientot 9 ans.
    Sur la route, souvent (et je me rappelle alors mon enfance) les gamins se font un concours de celui qui voit le plus de voiture de telle ou telle marque ou de telle et telle couleurs… Les miens c’est le premier qui voit 20 motos ou un choisi les « motos de sport » et l’autre les « harleys ».
    Le grand me raconte quelle moto il aura quand il sera grand : »une noire, mais une vieille, qui est belle mais qui roule pas trop vite mais quand même assez pour dépasser les camions » 😉 qu’il est mignon celui la !

    Alors bien sur, je m’interroge sur le fait que c’est dangereux, que je serai inquiet pour eux, etc. mais comment leur interdire d’aimer un truc qu’on partage ? Qu’il partage avec leur papa et pas avec leur maman ? (Ils partagent bien sur pleins d’autres choses avec elle !)

    Alors ton texte me fait poursuivre mes réflexions dans mon esprit tortueux…

    Merci à toi !

  6. J’adore !
    même parcours. Même si je remonte jusqu’en 1500, personne dans ma famille ne s’est jamais intéressé à un quelconque véhicule avec deux roues.
    A 18 ans sans vraiment savoir pourquoi, j’ai rêvé que je tentais d’échapper à un monstre sur un GEX.
    Depuis je n’ai eu de cesse d’avoir mon deux roues de mon premier 103 sur lequel j’écumais les routes en passant par la piste et la rando.
    C’est comme ça, cette passion nous tombe dessus et c’est parti pour la vie.
    la question des enfants est aussi merveilleusement transmise par ce texte.
    J’ai deux passions dangereuses dans ma vie, le rugby ( aucun rugbyman dans ma famille aussi loin que le rugby existe ) et la moto. La question de transmettre ces virus de pratiques malgré tout dangereuses à ses enfants est en tous cas pour moi pas si simple.
    avec mon grand on va traverser la France par les chemins, sur des deux roues, cela me rend dingue de joie et en même temps, si comme nous tous, il chutait, je ne suis pas certain de me le pardonner.

    merci pour ce texte

  7. C’est vrai que la responsabilité et, malheureusement dans certains cas, le sentiment de culpabilité (plus ou moins légitime) peuvent aussi nous tomber dessus… C’est pour ça qu’à mon avis, la seule chose à vraiment transmettre concerne la sécurité. Les éduquer dans ce sens, leur montrer les pièges à éviter, en somme les préparer à vivre le plus sainement possible cette passion à leur façon si jamais elle vient à naître en eux.

    Merci à toi pour cette réponse !

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