Mon rêve de gosse : avoir une moto. Rêve accompli grâce à un cadeau de ma femme. Puis la suite de ce rêve : faire un road-trip en solo dans la montagne. Ne pas juste tourner autour de la maison. Rêve en cours. Je suis en train d’écrire dans la tente.

Pour une dose d’aventure, partir en solo, en camping si possible sauvage (mais pas trop, je ne suis pas un sauvage, et les seules traces de mon passage seront celles de mes pneus), en traversant les Pyrénées depuis chez moi en Ariège, jusqu’à l’Atlantique, en privilégiant l’Espagne. Je ne connais que deux mots en espagnol : paella et torero, ça ne va pas m’aider ça ! Merci Google traduction sans réseau !

Pourquoi en solo ? Parce-que c’est un rêve de gosse, et les seules contraintes doivent être celles que je choisis. Si je veux m’arrêter admirer un paysage et prendre la photo, rien ni personne ne doit m’en empêcher. Un rêve de gosse se réalise d’abord avec soi-même. Depuis longtemps, j’avais envie de le faire. Pour des raisons personnelles qui n’ont pas leur place ici, j’avais aussi besoin de le faire. Pour ne pas avoir peur de mourir, il faut avoir vécu.

Donc j’équipe ma Honda 600 CBF. Elle a déjà le top-case et les valises, et une prise 12 V au guidon. Je rajoute sous la selle une batterie annexe qui se rechargera en roulant. Elle me servira le soir à recharger mon téléphone. Lui sera au chaud dans la poche avec Liberty-Rider allumé. Une multiprises 12 V / USB pour alimenter à la fois la batterie annexe et le GPS. C’est un GPS de voiture que je colle sous la bulle, comme il n’est pas étanche, je mets un ziploc dessus pour le protéger. Une tente, un matelas auto-gonflant sanglés sur la selle passager, un réchaud à gaz, et des boites de pâtes toutes prêtes où on mets juste l’eau bouillante. Je prévois d’acheter à manger en route, mais avoir de l’avance me permet de m’arrêter au gré des envies, sans chercher un magasin. On mange mieux face à un panorama. Une cale pour que la béquille ne s’enfonce pas dans la terre. Quelques outils au cas où une vis décide de partir sans moi. Le compresseur que j’emprunte à la voiture, car au mois de mai en montagne, je m’attends à des amplitudes thermiques importantes d’un jour à l’autre. Je pars avec un bonnet en prévision des nuits fraîches, mais aussi avec un maillot de bain. Mardi matin, c’est parti pour 4 jours.

Juste après Andorre, je joue à cache-cache avec un orage, plusieurs fois de suite. Vexé de ne pas suivre assez vite mon trajet biscornu, il m’a quand même éclaboussé, si peu.

Le Col d’Envalira sera le point le plus haut de tout le road-trip, 2408 mètres d’altitude. La neige est à coté de la route. Plus loin, quand je m’arrête pour pique-niquer, je repars vite avant que cet orage ne me trouve vraiment.

Grâce au conseil d’un ami, je trouve un lac magnifique où je plante la tente sans utiliser de marteau. De l’autre coté de la route, le village abandonné d’Esco. Un couple de passage dans un camion aménagé me recommande de ne pas m’en approcher : Une seule maison habitée, avec des inscriptions sur la porte du genre « Dégagez ou je tire » et des centaines de douilles devant la porte … Je reste aux alentours du lac. Le soir, tout seul, je regarde les étoiles en écoutant les grenouilles. Connexion avec la nature. Aïe, les moustiques sont connectés aussi…

Le lendemain, je continue vers San Sebastián, je me rends compte que ce lac est immense, et qu’il a des couleurs de sirop menthe glaciale. (qu’on ne voit pas sur les photos)

J’ai eu droit a quelques portions d’autoroute, gratuites et limitées à 120. Je ne vais pas me plaindre, il faut bien que je raplatisse un peu les pneus … L’autoroute culmine à 1200 mètres d’altitude. En me perdant plus ou moins volontairement, c’est à dire en quittant l’autoroute, je tombe sur une route charmante qui serpente en longeant une rivière au milieu des arbres. Je ralentis entre deux trajectoires pour admirer. Dommage que je n’ai pas trouvé d’endroit pour m’arrêter en sécurité, la seule photo que j’ai prise n’est pas représentative de l’endroit.

Arrivée à San Sebastián. Au niveau architectural, la ville est jolie. Des dizaines de scooters à tous les coins de rue, dont la plupart conduisent de manière suicidaire. La circulation est horrible à n’importe quelle heure. Même les motos du genre Africa Twin ou 600 GSXR sont conduites dangereusement par des types en short, qui ne disent pas bonjour. Pour eux, c’est seulement un scooter avec un signe extérieur de richesse en plus. J’ai l’impression d’être le seul Motard.

Je trouve le camping, à Igueldo, pas très loin. Altitude 230 mètres, c’est dérisoire, mais il y a quelques kilomètres, nous étions au niveau de la mer, donc ça monte. Tiens, le fameux 600 GSXR qui faisait le kéké au feu rouge avec ses copains en T-max, il tente de m’accrocher dans la montée. Je roule normalement et je le vois quand même rétrécir dans le rétro. Je commence à sentir des vibrations dans le cale-pied gauche. Je pense que la béquille prends du jeu. Et ça arrive maintenant …

Au camping, mon réchaud est en panne de gaz. La bouteille est neuve mais ouverte depuis longtemps. Du coup, je demande à faire bouillir mon eau pour les pâtes dans un bungalow de Français. On a refait le monde deux ou trois fois, mais pas sûr que le monde s’en soit rendu compte …

Le lendemain, au départ du camping, mon moteur cale alors que je suis en descente et que j’ai de l’essence. Je tente de redémarrer en embrayant en 2ème. Pas moyen. Il fait chaud à 25°C quand on est équipé et qu’on panique un peu. L’électricité fonctionne, je finis par comprendre : Dans la descente, le coupe-circuit s’est actionné tout seul ! Ça paraît idiot comme ça, mais si on a déjà entendu ce genre d’histoire, et qu’on se dit « Moi, j’aurai trouvé tout de suite. » Je vous jure qu’on panique avant de trouver !

En sortant de la ville, un 1200 VFR me suit un moment puis me double en faisant bonjour. Ça me manquait au milieu des scooters. Il fait le poisson pilote, il accélère un peu, je le suis. On est équipés de la même façon, je vois sa coque dorsale sous le blouson, ses bottes, et il a un vrai pantalon. Au bout d’environ 10 minutes, je le vois ralentir sans raison, il veut que je passe devant. Avec plaisir. On a la même façon de rouler, on se fait plaisir raisonnablement, sans risquer le permis ou l’accident. Je lui signale un nid de poule et dis bonjour à ceux qu’on croise. Je vois qu’il apprécie. Au feu rouge suivant, il ouvre son modulable, et me fait un grand sourire. Je lui fais signe que je souris aussi sous mon intégral. On continue et je m’arrête faire l’essence, il klaxonne et me dit au revoir. Ce moment a été vraiment apprécié de nous deux même si ça a duré au maximum 25 minutes. Sans se parler, on s’est compris, le respect s’est invité naturellement. J’imagine que c’est ce que ressentent les navigateurs à la voile quand ils se croisent au milieu de l’océan, ils savent ce que ressent l’autre et vivent la même expérience. Sur la terre ferme, je pense que seule la moto peut procurer ce genre de relation, emprunte de complicité et de respect, alors qu’on ne s’est même pas parlé.

J’avais prévu de camper pour ma troisième nuit au même lac qu’à l’aller, mais en cherchant un autre endroit. J’y arrive à 15h00 après avoir roulé 269 kms. Si je m’arrête maintenant, j’aurai 500 kms à faire demain. Donc je continue et trouverai un autre endroit sur la route. Direction Bagnères de Luchon. La route qui passe par Hospital de Tella et La Fortunada est un vrai pousse au crime : Des grandes courbes tellement fluides et sans surprise que ça passe en cinquième et parfois en sixième sur le couple. On longe la rivière. La frontière se trouve en fait dans un tunnel. Les panneaux lumineux annoncent le contrôle de vitesse en espagnol, mais le panneau qui annonce le radar est français. Donc le premier truc français qu’on voit à cet endroit n’est pas un paysage mais un radar…

On sort du tunnel à 1808 mètres d’altitude, il fait environ 8°C et c’est humide. Je ne vois pas d’endroit correct pour camper, puis vois un camping municipal, qui a l’air fermé. Je rentre et vais vers l’endroit pour les tentes. Je ne vois personne et commence à m’installer. Finalement, il y a des camions aménagés plus loin. Je vais les voir, ils me donnent le numéro de la responsable. Je l’appelle et laisse un message pour dire que je pars demain matin, et que si elle est là demain, je paie. Le lendemain, personne n’a ouvert les sanitaires ni n’est venu pour que je paie. Je suis donc la seule personne que je connaisse à avoir fait du camping sauvage dans un camping.

Il pleut, 8°C. Je n’ai pas de combinaison de pluie, je mets le pantalon de ski par dessus le jean kevlar. Plus la dorsale et le blouson. Le tout à plier la tente sous la pluie. Je commence à n’en rigoler qu’au bout d’une heure de route. La suite du trajet me ramène chez moi, toujours en passant par l’Andorre.

Total 1494 kms en 4 jours. La bande de peur a disparu à gauche, et seulement quelques millimètres à droite. Sans rouler comme un débile, seulement en prenant des virages en épingles à 40 km/h. Je n’avais jamais vu une moto aussi sale que ça. Elle a bien mérité un autocollant souvenir sur une valise. J’ai des souvenirs plein la tête.

Il y a de la place sur ces valises, on peut mettre plein d’autres autocollants…

Marc Surlaroute


Un énorme merci à ceux qui m’ont conseillé sur l’itinéraire ou l’équipement : Thomas Rogé,  Bachi Bouzouk, Simon Rouviere et Helene Calas

8 Commentaires

    • Pendant longtemps, je me disais « plus tard… » Et puis un jour, on se rend compte que ce n’est jamais trop tôt, mais que ça peut être trop tard, alors on se dit « c’est maintenant ou jamais, go »

    • Merci à toi d’avoir lu, et pourquoi pas, de partager aussi tes expériences.
      Le soir dans la tente, je lisais « Le monde comme il me parle », d’ Olivier De Kersauson. Il dit (entre autres) qu’on a « le devoir de l’aventure », quand on a la chance d’avoir la santé, un petit peu de finances, et le contexte qui va bien, par rapport aux gens qui ne pourront jamais.
      Je rajoute que quand on vit une aventure, on a le devoir de la partager, pour donner du rêve (et non pas vendre du rêve) aux gens qui ne pourront jamais, mais aussi pour donner envie de faire pareil aux gens qui peuvent ou pourront.

  1. Sympa ton trip, j’ai la même passion que toi, je roule seul: la liberté a un prix, il s’appelle solitude p!

    Par contre, je roule en Gs et dort à l’hôtel, souvent déniché en fin d’après midi.
    En mai dernier, j’ai fais 1300 borne en 49 heures, Vercors, Ardéche Lubéron, baronnies de provence: un festin de paysage en total liberté: tu as raison,  » Pour ne pas avoir peur de mourir, il faut avoir vécu. » et quand tu as vécu beaucoup de choses, tu peux te lever de table comme celui qui aurait festoyé avec bonheur et souvent jubilation: la vie m’a bien servie, je pars le coeur remplit de la beauté du monde
     » On laisse la place, et c’est normal, chacun son tour d’aller au bal, faut pas que ce soit toujours au mêmes » chantait Léo, c’est exactement ça
    Bonne route et bon voyage

    • La solitude était un besoin, pour ce voyage, pour ce premier voyage. Mais j’ai du plaisir à rouler avec d’autres Motards. Le prochain road-trip (je ne sais pas quand) sera certainement avec une fine équipe.

  2. Bravo.
    C’est avec beaucoup de retard et de plaisir que je lis ton carnet de voyage. J’aurai une petite question concernant la visage de ton gps, car je compte moi aussi utiliser un gps de voiture . Comment l’as tu fixé et a-t-il survécu?
    Merci

    • Bonjour. Avec beaucoup de retard, je réponds …
      J’ai fixe la ventouse du gps sous la bulle, exactement comme sur un pare-brise de voiture, en mouillant la ventouse avant. J’avais déjà testé sur des trajets plus courts avant. Aucun problème. Le sac ziploc pour rendre étanche n’est pas la solution idéale mais permet d’éviter une solution plus chère.
      J’ai trouvé mieux depuis : Un téléphone vraiment étanche IP68, fourni avec sa fixation pour guidon de vélo, et j’ai vissé une poignée de micro-ondes (oui !) sous la bulle.
      Et c’est parfait.

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