Insatisfaits chroniques, jamais contents professionnels, pète-rouleaux de compétition, Jean-Pierre Bacri en puissance, les râleurs font partie, au même titre que les hypermnésiques ou les nains, de ces personnes qui ont un handicap et qui n’ont d’autre choix que de vivre avec. La tolérance passant par l’empathie, je vous propose de revivre avec moi ce splendide weekend dans le Vercors avec une perception des choses originale: celle d’un râleur. Parce que les superlatifs n’ont rarement d’autre but que d’énerver et de frustrer le lecteur, lui jetant au visage le fait qu’une fois de plus, il a loupé un truc génial.

Tout a commencé ce 23 septembre, à 8 heures du matin pétantes, quand j’ai retrouvé mon ami Alain. Un temps radieux à vomir, j’avais depuis mon réveil l’impression de vivre au pays des bisounours. En ce début d’automne, on aurait été en droit d’espérer que ces glandus de la météo se plantent une fois de plus, qu’on puisse au moins rouler par un temps dégueulasse. Mais non, pensez…

Histoire d’enfoncer le clou et de donner le ton, le père Alain était, comme à son habitude, à l’heure au point de rendez-vous avec son satané FJR à barquette latérale. Autant dire que l’effet de surprise ou la petite décharge d’adrénaline d’avant-départ, je pouvais me les tailler en biseau.

Et puisqu’un bonheur n’arrive jamais seul, on a rejoint Florent à Voiron, au pied du Vercors, après le lâche désistement de celui qui se fait appeler Cigalou pour boire un petit café comme trois tarlouzes avant d’aller faire notre petit tour sur des routes pas droites et partager ces purs moments de joie motocycliste, limite en jetant de droite et de gauche des pétales de fleurs sur notre passage. Bonneville-Voiron, deux heures de nationale, beau temps, pas de panne, pas d’accident, un pote et un bivouac au bout du chemin bref, rien d’autre à raconter. D’ailleurs je me demande pourquoi j’écris cet article.

Le Vercors, c’est chiant. Tu roules, y a rien qui t’arrête, tu croises pas un feu rouge, pas un rond point, pas un dos d’âne pendant des kilomètres. Tu te retrouves sur une route qui serpente dans des gorges, puis d’un coup tu te retrouves au milieu d’une plaine, tu traverses une forêt, t’attaques une montagne, t’as jamais le temps de t’habituer au paysage, ça change tout le temps. Quand tu t’arrêtes pour manger y a pas un rat, même dans les villages.

Alors tu repars, tu re-roules et rebelote : feu rouge, rond point, dos d’âne, néant. Même pas un nid de poule ou des gravillons dans un virage pour te faire une frayeur, que dalle. Non, le département de l’Isère doit penser que nous autres motards on est trop cons pour survivre à une route défoncée, qu’on est des assistés ou je sais pas quoi, ou qu’on est capables d’emmerder le monde à manifester si l’un d’entre nous roule dans une bouse. Alors ils ont tout viré pour laisser un parc naturel insipide ou à part rouler, t’as besoin de penser à rien.

En fin d’après-midi on a quand même fini par nous rappeler qu’on avait une réputation de poivrots à défendre, alors on s’est arrêtés boire une bière. Et là je vous le donne en mille : un pauvre patelin perdu, une mairie, deux cafés avec, forcément, terrasse au soleil. Super original. On a fait quoi ? Ben on a bu notre bière en disant Putain on a une veine de cocus avec le temps. A pleurer.

Ensuite on est montés jusqu’aux grottes de Choranche. Inutile de vous raconter les routes, les paysages, les larmes de bonheur dans le casque, la sensation d’être terriblement vivant et heureux d’être là avec ses potes et sa moto. Bla-bla-bla...

On a quand même réussi à presque se perdre et à presque pas trouver de bivouac. On aurait au moins eu quelque chose à raconter. Mais non, même pas, à part faire le tour d’un lac, descendre par un bout de piste jusqu’au bord, dénicher la seule plage et s’y installer après le départ des deux pêcheurs qui l’occupaient, on n’a pas été foutus de faire autre chose que de nous auto-congratuler et d’en profiter comme des porcs.

 

Le lendemain matin on a remballé tranquilou. Histoire de se faire remarquer, l’un d’entre nous n’a pas pû s’empêcher d’être malade et de gerber partout pendant que je buvais mon café. Je ne dirais pas que c’est Florent, parce qu’entre potes, on ne balance pas. Du coup avec Alain on l’a laissé agoniser seul, évanoui dans son vomi, on a crevé les pneus de sa brêle, on a balancé sa batterie, ses papiers et son portable dans le lac et on s’est tirés.

Un arrêt à Villard de Lans pour nous offrir un autocollant à poser sur les valises et on rentrait comme on était partis : dans un débecquetant monde parfait.

 

Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
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3 Commentaires

  1. Et voilà, encore un article sur la moto où tu sens que les gars, y zon rien d’autre à f…. que de compter leurs aventures sur des routes à moto, avec un temps parfait, des moments de convivialité et de partage… bref tout pour se faire chier… aller, je retourne dans mes bouchons lyonnais en espérant que le beau temps dure pas trop longtemps parce qu’à force, ça saoule… et je dis pas merci de me faire démarrer la journée comme ça, je vais encore avoir des images plein la tête… ;-))

  2. Pff, c’est vraiment pas d’bol toute cette perfectitude! Ça se voit que tu roules pas avec une Griselda! Là t’en aurait à raconter, du piment, des flippes, de la rogne, tout ça quoi… Allé, courage, la prochaine sera la bonne … ou la mauvaise, enfin celle que tu veux! ;-D

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