Deux années s’étaient écoulées depuis le premier opus. Même si j’avais adoré ce premier trip un peu sérieux, j’avais un goût d’inachevé dans la bouche, quand j’y repensais. Et surtout, durant ces deux années, j’étais passé au cran supérieur, question bourlingue. J‘avais pris de la bouteille, comme on dit, largement élargi mon rayon d’action et copieusement étoffé mon expérience du bivouac à la sauvage et du road trip au petit bonheur la chance. C’est donc fort de cette maturité durement acquise que j’ai organisé l’épisode 2. La Revanche.

Florent n’était pas dispo pour nous accompagner, cette fois. Trop occupé à retaper la CB750 four de 1976 qu’il venait de s’offrir après la revente de son endive. Impossible de lui en tenir rigueur. Dispos, les potes du forum XJ de mon secteur l’étaient, en revanche. Ainsi que celle qui, un peu plus tard, deviendrait ma petite femme et qui avait fait le déplacement d’Alsace pour l’occasion. Ajouté à cette bande un cinquième larron pour servir de sac de sable dans le panier d’un side, et on tenait l’équipe de base. Le jour J était fixé au 5 juillet.

Fin mai, j’étais parti une journée en repérage dans le Beaufortain pour tâcher de trouver un bivouac. En effet, quand tu pars tout seul, ou à deux, tu peux toujours trouver un bout de prairie à l’arrache histoire de planter la tente ou de ronfler quelques heures sous un arbre. Mais quand on commence à se déplacer en meute, ça devient plus compliqué. Surtout avec un side dans les effectifs. Quoi qu’il en soit, à la fin de cette journée, la mission était accomplie. J’avais dégoté LE bivouac de la mort. Une perle que je compte bien de nouveau exploiter, d’ailleurs.

En ce qui concerne le road book, on était sur du haut de gammeDans le cahier des charges, les autoroutes étaient naturellement bannies et les nationales étaient exceptionnellement tolérées quand pas moyen de faire autrement. Ça se passerait donc essentiellement sur des départementale (en tout cas dans la partie française). En ce qui concerne les passages Suisses et Italiens le concept était simple : des cols, des cols et des cols, en particulier celui du grand Saint Bernard, cette fois ouvert.

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Nous nous sommes donc tous rejoints à Cluses pour le café, ce matin là. Tout le monde de bonne humeur malgré un temps incertain. Ciel sombre, crachin, les combardes étaient de sortie. Mais on n’était pas plus inquiets que ça. Dans les alpes, on est habitués à la météo changeante. Et l’équipe qui était réunie là, en plus d’être une vraie bande de vrais potes qui bricolent ensemble, se font des barbecues ensemble et vident des fûts de bière ensemble, était aussi une équipe de gros rouleurs assis sur les montures, en toute modestie, indestructibles. Enfin bref, tout ça pour expliquer pourquoi on n’était pas plus inquiets que ça.

On a commencé par rejoindre Chamonix pour y faire le plein, puis passer en Suisse par le col des Montets. Première pause pour profiter un peu du panorama tout en enlevant les combinaisons. Vous voyez ? Ça servait à rien de s’inquiéter ! De là on est descendus à Martigny sur une route sèche (d’où le terme Martini dry), on a pris notre mal en patience sur une petite portion de nationale chiante comme la mort, puis on a bifurqué vers le mythique col du Grand Saint Bernard. Enfin !

Rien que pour y monter, cette route est une merveille. Sinueuse à souhait, quelques épingles juste ce qu’il faut, de longues courbes super roulantes, sauf quand on se retrouve au cul de camping-cars ou de pelotons de cyclistes qui poussent de grands cris indignés quand on ose les doubler sans attendre des plombes qu’ils daignent se rabattre parce qu’ils sont trop occupés à discuter entre eux (une dent contre les cyclistes? Non, j’ai fait beaucoup de vélo moi-même. C’est contre les connards en général, que j’ai une dent).

Juste avant d’entamer l’ascension du col proprement dit, nouvelle halte dans ce fameux troquet déniché avec le père Florent lors du premier tour (que nous avions fait dans l’autre sens, soit dit en passant). A noter que cette fois, ils avaient même disposé de vieilles meules sur le bord de la route. Plus motard friendly, c’est pas possible.

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Le fameux troquet Joe Bar vu du dehors

On n’était pas trop mal niveau timing. Faut dire qu’on ne passait pas notre temps le pif sur nos montres. Ça aide ! On se fiait surtout aux gargouillis des estomacs. Après synchronisation des appareils digestifs, on a opté pour le déjeuner au sommet du col. Quitte à faire les choses, autant les faire bien. Alors on s’est remis en selle et on s’est tapé une ascension délicieuse avec très peu de circulation (vu que beaucoup d’usagers préfèrent prendre le tunnel plutôt que le col, et c’est certainement pas moi qui vais le leur reprocher)… On n’a croisé quasiment personne jusqu’au sommet où on s’est arrêtés manger une tartiflette. Parfaitement. Une tartiflette. Et elle est très bien passée. Parce que même en juillet, à cette altitude, ben une tartiflette, ça passe bien !

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Avant de commencer à roter ou à lâcher des ruines devant nos camarades à cause d’une alimentation trop riche, on s’est remis en route tranquillement vers la frontière Italienne et Aoste, puis de là vers le col du Petit Saint Bernard pour quitter l’Italie et rejoindre l’hexagone. Je vous passe les images du Petit Saint Bernard pour éviter l’impression de déjà-vu. Une fois redescendus à Bourg Saint Maurice on a, contrairement à la fois précédente, embrayé vers Beaufort via le Cormet de Roselend… où on a de nouveau fait une pause. Avant de rejoindre le bivouac que j’avais repéré fin mai et qui se trouvait à une vingtaine de bornes plus bas.

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C’était le site parfait. Ni trop ni trop peu à l’écart de la route, une grande clairière entourée de forêt, au milieu de laquelle coule un ruisseau bordé d’une plage de galets, parfaite pour faire un feu sans risquer de faire partir en fumée la moitié du patrimoine forrestier du Beaufortain…

Tout ce qu’il nous restait à faire, c’était de passer une bonne soirée sous les étoiles, à boire un godet en mangeant des merguez, assis sur les troncs d’arbre, bercés par le cliquetis de l’eau. Après une journée en selle au milieu de paysages illégaux de beauté, avouez qu’y a pire, comme conclusion.

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Le lendemain matin, après avoir replié les tentes et ramassés tous nos détritus parce qu’on n’est ni des porcs ni des vandales, on a rejoint Beaufort pour un petit déjeuner royal en terrasse. Le ciel était franchement bleu, la température franchement chaude, les combis de pluie franchement rangées au fond des valises.

Trois bonnes heures de route nous attendaient encore pour regagner nos pénates. Trois heures parce que forcément, on n’allait pas chercher à gagner du temps en prenant la voie rapide. Non non, c’est pas le genre de la maison. C’est par le col des Aravis, sur la route des grandes alpes et par forte chaleur, que nous ferions notre entrée triomphale. Une dernière bière bien fraîche prise chez moi et mes compagnons de route me quittèrent pour rejoindre leur foyer.

Ils me laissaient seul avec cette délicieuse et durable sensation de bien-être, quand le silence retrouvé vient sublimer le souvenir d’instants parfaits.

Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
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