A la fin de l’été 2012, le pote Florent venait d’avoir le permis gros cube, avec toutes les démangeaisons que ça entraîne. Le genre de démangeaisons qui te poussent à prendre la bécane pour un oui ou pour un non. On a tous connu cette période pendant laquelle ça ne nous dérange pas trop d’enfourcher la brêle pour aller acheter du pain entre 6 et 12 fois par jour, à la boulangerie située au bout de la rue… Même si cette rue se trouve dans un patelin paumé situé à 25 bornes alors que t’as tout ce qu’il faut à 50 mètres.

Enfin bref, un soir on buvait l’apéro sur la terrasse de son appart, avec le Mont Blanc pile en face de nous. On rêvassait, on refaisait le monde, on se confiait nos aspirations respectives de baroudeur du dimanche. Puis, je sais plus lequel de nous deux a lâché le morceau, mais un de nous l’a fait : et si on se faisait un trip sur un weekend ? Bah ouais, carrément ! On a trouvé l’idée drôlement bonne. Et pas conne, en plus. Tellement pas conne qu’on s’est tous les deux retournés pour voir si c’est pas quelqu’un d’autre qui l’avait eue. Mais non. Y avait que nous, on pouvait donc être fiers.

On commençait à se creuser la soupière au sujet de la destination quand j’ai levé les yeux vers le majestueux témoin muet qui nous observait depuis le début. Je dis alors à Florent : bah, et lui, là… en désignant le Mont Blanc du menton. Pourquoi qu’on n’en ferait pas le tour ? Consultation fébrile d’agendas, verrouillage de la date. Ce sera mi-octobre.

Inutile de préciser qu’on a compté les jours qui séparaient de cet apéro du top départ.
On a même compté les dernières heures puisque le matin du grand jour, la 600 Div du collègue nous faisait le coup des carbus qui pissent. Une chance, la concession Yam du coin avait ça en stock. Une heure plus tard, la rampe de carbus était en vrac sur un coin de table de la cuisine pour le remplacement des pointeaux. Deux heures après, on était en selle. On n’est pas du genre à se laisser emmerder par des pointeaux.

On a donc mis le cap au sud direction Bourg Saint Maurice via Albertville. A Moutiers on s’est trouvé un petit pré, au calme, pour casser une graine au soleil. On était comme des coqs en pâte. Allongés dans l’herbe, au soleil, avec un bout de pain et de la terrine aux morilles. C’était joli, alors on est restés un peu. On avait tout notre temps.

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Au bout d’un moment, on a quand même jeté un coup d’œil à la carte histoire de se mettre d’accord, la bouche pleine et les doigts gras, sur l’itinéraire. Heureusement pour nous, c’est facile de prononcer « col du petit Saint Bernard » avec le museau plein de pâté. Ça nous a permis de nous comprendre. Ne restait plus qu’à nous y remettre.

Le col du petit Saint Bernard marque la frontière entre la France et l’Italie. Il est super roulant, sans pièges. Enfin, normalement. Parce que ce jour-là y avait un zef à décorner des bœufs. Mais une fois au sommet, quel merveille!

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Sur le moment je me suis dit que j’en aurais bien profité pour en griller une petite, mais avec des rafales à plus de 100km/h, c’est pas avec le briquet de monsieur tout le monde que tu risques d’y arriver. C’était lance-flammes requis, minimum. Et vu que j’avais pas pris le mien, ben j’ai pas fumé. Tu veux arrêter la cigarette ? Laisse tomber tes nicorettes et autres conneries de clopes à piles ! Passe une semaine au sommet du petit Saint Bernard !

Enfin bref, vu que là aussi c’était joli, on est restés un peu. On avait tout notre temps. Un ou deux kilomètres plus loin on passait la frontière. Et de là on est redescendus sur Aoste. Le plan, c’était d’enchaîner avec le col du Grand Saint Bernard, passer la frontière Suisse avant la nuit et trouver un bivouac.

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C’est au cours de la descente sur Aoste qu’on a eu notre plus belle récompense. Une vue de fou sur le Mont Blanc.Enfin. Parce que c’est pas le tout de dire qu’on en fait le tour, hein ? Y a pas de piste cyclable ni de voie verte qui fait un rond à ses pieds. Non non, faut pas croire ceux qui disent ça! Le tour, c’est un vrai tour. Tu t’en éloignes, tu t’en éloignes et d’un coup, comme si t’étais la victime d’un phénomène d’attraction paf ! Tu te le prends en pleine pomme sans prévenir. Comme c’était encore joli, on est encore restés un peu. On avait tout notre temps.

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C’est quand on est arrivés à Aoste qu’on s’est aperçu que les deux heures qu’on avait perdues le matin à cause de ces c***** de pointeaux risquaient quand même de nous faire défaut. On n’a donc pas traîné en ville. Même si c’était joli, on n’est pas restés un peu. On n’avait plus tellement tout notre temps.

Surtout qu’une fois l’ascension du Grand Saint Bernard entamée, histoire d’en rajouter une couche et de nous rappeler qu’on était définitivement des quiches, on s’est retrouvés comme deux buses face à une terrible vérité : le col était ferméBen ouais, qui l’eût cru ? Un col dont le sommet culmine à 2500m d’altitude fermé mi-octobre ? Mais quelle surprise ! Y aurait-il des raisons climatiques à cette aberration ?

Du coup on a dû emprunter le tunnel (payant, et autant vous annoncer que question tarifs, les Suisses, c’est pas des timides) comme deux nazes. Sortis du tunnel, on était en Suisse. Et on était la nuit. Et on savait toujours pas où on allait pouvoir poser la tente. Ça commençait à faire pas mal.

Mais on s’est finalement démerdés comme des empereurs. On a trouvé le coin qui va bien, à l’écart de la route, dans une prairie d’alpage. Il a fallu faire un peu de hors-piste pour amener nos meules jusque là, mais une fois posés on était de nouveau les rois du monde. Il faisait nuit donc on ne pouvait pas voir si c’était joli mais on est restés quand même un peu. On avait de nouveau tout notre temps. Pendant que j’installais la tente, Florent faisait cuire des pâtes.

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Par dessus ça deux ou trois godets de rhum histoire de se réchauffer en regardant les étoiles, et on était partis pour une bonne nuit blanche pas du tout réparatrice à cause de la bonne cinquantaine de vaches, et surtout de leurs cloches, qui sont venues passer la nuit à 30m de nous. On a eu beau leur gueuler d’aller se coucher et d’arrêter leur boucan parce que merde, y en a qui se lèvent tôt demain, elles ont rien voulu savoir. Un régal. Le folklore, des fois, c’est de la merde.

Le lendemain matin donc, vers 7 heures la tente était repliée, les gamelles rangées et les bécanes prêtes à repartir. On avait quand même vachement envie d’un petit café avant de reprendre la route. Pour nous réchauffer, bien sûr, mais aussi pour permettre aux autochtones d’admirer nos tronches de déterrés. C’est là que le Dieu des motards nous a indiqué le chemin de la rédemption. Un petit troquet, au bord de la route, tout décoré aux couleurs du Joe Bar Team nous attendait à bras ouverts. Les pieds de tables ? De vieux tromblons. Ça nous a quand même un peu fait mal au ventre de voir ces beautés réduites à ça, mais ça ne nous a pas empêchés de choisir à l’unanimité une Terrot pour le petit déj.

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Caféinés, réveillés (ressuscités, même), c’est plein d’entrain que nous enfourchâmes nos montures pour la dernière fois de cette escapade. On n’est même pas descendus de selle pour faire le plein. Une fois les bidons remplis, on a tracé direction la frontière, le lac Léman, pour une bière chez un pote qui était bien dégoûté de ne pas avoir pu nous accompagner. Ce que nous ignorions encore tous, c’est qu’il aurait droit à une séance de rattrapage.

Et là, ce serait du sérieux. Avec tous les cols ouverts (je ne dis pas ça gynécologiquement parlant, hein ? C’est dégueu), des feux de camp, et toute une petite bande de joyeux farfelus. 

Tour du Mont Blanc – La Revanche … bientôt sur vos écrans !

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Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
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2 Commentaires

  1. Je viens de passer un excellent moment à lire le texte se Titus, absent de toute fanfaronnade et à l’humour décapant …même sans être motard, « on s’y croirait « !

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