On nous dit et on nous répète que l’esprit motard n’existe plus, que c’est fini. Que nous, les p’tits cons de 20 piges, on ne sait plus ce que c’est. Maintenant, la moto serait devenue un objet de consommation, ou pire, un accessoire de mode quand l’on voit certains hispters parader avec. C’est essentiellement pour lutter contre ce genre d’idées que je me suis mis à raconter ma « vie de motard ». Certes, aujourd’hui il y a beaucoup de conducteurs de deux-roues, mais ça ne veut pas dire que dans la masse, il n’y ait plus de motards. Et puisque je te vois déjà lever les yeux ciel en disant « mais bien sur… », je vais te raconter une petite aventure qui m’est arrivée cette semaine.

Jeudi dernier, je me suis levé à la bourre. Le genre de truc qui te met dedans pour le reste de la journée. Après une douche express, je cours jusqu’au parking, enfourche mon fougueux V-Strom qui piaffait d’impatience et hop. 10 minutes à rattraper, c’est jouable. Pour ceux qui ne le sauraient pas, je suis prof dans un bled, enfin, une cité comme on dit, au fin fond du 93. Alors que je remonte sportivement la N2 (enfin, ça reste un V-Strom quand même, niveau vitesse de pointe, t’es à peine un chouia plus rapide qu’un solex), il me semble voir une bécane au sol. Un TDR rouge (hideux, je ne savais pas qu’ils en avaient fait de cette couleur) couché sur le terre-plein de séparation entre les deux voies. A côté, un type en jet et sweat déchiré se tenait le bras en grimaçant. Merde, il s’est vautré ce « touriste ». Dans quelques secondes je l’aurai dépassé. Je m’arrête ou pas ? Un petit diable me susurre à l’oreille : « t’es pressé mec, en plus il y a évaluation ce matin, ça va décaler toute ta progression si tu l’annules». Et puis il se la joue prudent (ou parano, ça dépend des points de vue): « entre nous, c’est pas vraiment le genre de quartier où tu dois t’arrêter mon grand, c’est peut-être une nouvelle technique de moto-jacking ». Et pour enfoncer le clou, cet enfoiré rajoute avec une touche de snobisme : « c’est même pas un motard ce type, t’as vu son équipement de charlot ». Dans l’autre oreille, un petit ange casqué me dit : « eh bouffon, tu passes ton temps à te plaindre des préjugés sur les jeunes motards et après tu t’arrêtes pas ? ». Je mets mon cligno et me gare sur le terre-plein.

Le temps d’enlever mon casque je réalise qu’un autre motard venait aussi de s’arrêter. On s’adresse un large sourire et on va aux nouvelles. L’accidenté avait le bras un peu amoché mais rien de grave. Il était surtout sous le choc : une camionnette l’avait tout simplement « poussé » d’un coup de volant , estimant certainement que cette vieille 125 n’avançait pas suffisamment vite. Sa roue avant avait tapé dans le terre-plein et il avait fait un vol plané. Il nous explique qu’il bosse dans l’immeuble qu’on voit juste là et qu’il va y pousser sa moto. Ni une, ni deux, avec mon camarade de circonstance, on lui redresse sa trapadelle. Tiens, un autre motard s’arrête. Ça va finir par devenir une concentr’ cette affaire. Il a ramassé un peu plus bas le cale-pied du TDR qui s’était cassé net. Le pauvre gonze, toujours serrant son bras, ne comprenait pas toute cette attention qui lui était accordée. Il nous remerciait en boucle, nous disant que ça irait.

Je suis arrivé au taf avec un bon gros quart d’heure de retard. Mes élèves m’attendaient dans ma classe avec un surveillant. Ils affichaient tous un grand sourire victorieux : « le contrôle est reporté m’sieur ? » Forcément. Sur un air de défi, la grande gueule de la classe se risque même à me demander : « vous avez un billet de retard ? C’est quoi votre motif ? »

Je prends ma craie et j’écris en grand au tableau : Solidarité motarde.

Texte publié dans Moto News Magasine (juin 2015)
 

 

7 Commentaires

  1. Mon fils, 13 ans, à qui je viens de lire ton article te dit que ton petit ange aurait pu aussi ajouter « et en plus ça arrangera tes élèves! ». Je sais pas s’il aura la solidarité-motarde-attitude plus tard mais il est déjà mure pour la solidarité-élève-attitude!

  2. Si tu nous sort pas 1 promo de 10 motards par an, à leur donner tes revues et leur parler de l’esprit qui va avec !
    Belle leçon en tous cas
    (et surtout continue à écrire)

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