– Faut que j’achète du miel, vous sauriez pas où on peut en trouver du bon ?

– Bah sur Paris c’est compliqué, un truc avec du goût, ça te coûte vite un bras.

– Attendez les gars, vous savez où il y en du bon ? A Château-Chinon ! On en avait pris une fois. C’est direct chez le producteur. Une tuerie. La route pour y aller est sympa en plus. On se fait ça ce weekend ?

Comment les copaingues ont réussi à m’embarquer dans cette histoire ? Ben honnêtement, je croyais que Château-Chinon c’était un bled d’Ile-de-France, ça sonnait village de Seine-et-Marne. Là tu es en train de te dire : mais il n’est pas prof de géo ce blaireau ? Faut dire que le rendez-vous à 6h30 du matin au Pont de Tolbiac aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Parce que soit l’apiculteur était très matinal, soit je m’étais bien planté sur l’estimation des distances. Et c’est ainsi que, sous le traditionnel crachin parisien, nous nous sommes mis en route pour le Morvan.

Notre petite bande de cinq a rejoint en milieu de matinée à Avallon les deux locaux de l’étape, Mario et Isa. Jusque là, le trajet avait été pépère sur des nationales aussi droites que monotones. Parfait pour finir sa nuit. Mais là, nous entrions dans le vif du sujet : le « spot des Settons ». Autrement dit, une « spéciale » d’un peu moins de 80 bornes de virlos jouissifs en plein milieu du parc naturel du Morvan. Tiens, si je n’avais pas eu le nez en permanence dans le guidon pour essayer de garder l’aspi derrière leurs mastodontes pleins de chevaux, j’aurais pu risquer une fracture de la rétine en levant la tête : lac des Settons d’un côté, forêts multicolores de l’autre. Tu m’étonnes qu’elles s’éclatent les abeilles par là-bas. A la ferme, la patronne, habituée aux motards, nous a gentiment empaqueté les pots de miel dans du papier bulle histoire de refaire la « course » dans l’autre sens sans retapisser les valoches. Au niveau du lac, on s’est autorisé une (enfin deux) crêpes largement garnies, bien assis au coin de la cheminée d’un petit resto familial. Bah oui, faudrait pas non plus maigrir. Hélas, on n’avait pas eu le temps de refaire le monde une troisième fois qu’il a déjà fallu redécoller pour le béton et la pollution.

A partir d’Auxerre, nous avons joué la carte de l’autoroute car mine de rien, les courbatures de cette promenade bucolique commençaient à se faire sentir. Histoire de rester concentrés, les copains se sont mis à titiller gentiment une belle Ferrari toute pimpante. A plat ventre sur mon V-Strom, l’accélérateur en coin, je les ai suivis au moins trois bons mètres avant de lâcher l’affaire. Jacques-au-grand-cœur, ayant eut pitié de ma lenteur, m’a escorté jusqu’aux portes de Paris dans mon éternel chrono contre la nuit, la fatigue, les embouteillages, la pluie, etc. Et comme d’habitude, j’ai perdu. C’est que j’ai une réputation à tenir moi. Certes ce serait facile de me plaindre du manque de « patate » ou « d’allonge » de mon V-Strom dans ce genre de situation. Mais entre nous, ça m’arrange bien, je suis une vraie caguette dès qu’il s’agit d’essorer la poignée entre les bagnoles. Rarement une machine fut autant assortie à son pilote. Tu sais, si j’étais poète je dirais que ma moto est limace et que je suis mollusque. Et qu’ensemble, nous formons un superbe escargot asthmatique.

Le lendemain matin, au petit déj’, les fesses posées sur une pile de coussins, je me suis dit qu’il avait intérêt à être bon ce foutu pot de miel qui m’avait fait faire presque 1 000 bornes. En ouvrant son couvercle, j’ai été emporté par une odeur de cuir mouillé et d’huile chaude. Bordel, que c’est mielleux… et dans tous les sens du terme en plus. N’empêche qu’en bouche, ça a vraiment été une explosion de souvenirs, toute une « histoire » comme ils disent dans Top Chef : les taquineries dignes d’un vieux couple entre Cat’ et son pilote, le V encourageant de Jacques sur l’autoroute, les crêpes gargantuesques, Harry et son humour flegmatique aussi british que sa Triumph, les trajectoires « aléatoires » de Mario et son Akra derrière lequel j’ai failli perdre mes tympans, mes quelques mètres au guidon de la minuscule Fazer d’Isa, des virages, encore des virages, un feu de bois, le lac et une Ferrari rouge.

Tu sais quoi ? Ce miel, il avait un délicieux goût d’arsouille.

9 Commentaires

      • Recit une nouvelle fois très agreable à lire et magnifiquement illustré. Je l’ai vu rouge la Ferrari, mais il y avait peut être un autre véhicule jaune devant.
        Ça fait du bien de s’oxygéner entre potes 😉

  1. « Rarement une machine fut autant assortie à son pilote. » c’est trop mignooon 🙂
    Mais je me fais pas trop d’illusions, je suis encore plus « mollusque » que toi, sans aucun doute !
    Mais tu sais que ça me tente bien cette histoire ! Dis tu m’appelles la prochaine fois 🙂 ? Si je suis pas déjà au bout de la France je viens avec vous, ma mère adore le miel ^^

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