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« Youngtimers », c’est le p’tit nom affectueux que l’on donne désormais aux bécanes des années 80/90. Le terme anglais parle de lui-même : il est le point de vue de la génération qui avait 20 ans à cette époque. Une fois de plus, à travers ce vocabulaire pas si anodin, le monde de la moto témoigne de son vieillissement. Certes, on sait tous que les 80’s furent l’âge d’or de notre passion (pour les plus de 50 ans, ce sont les 70’s etc.) . On nous répète en boucle que ce fut l’ère des pionniers, des grandes arsouilles, des machines mythiques et des Paris-Dakar. Mais vous savez quoi les darons ? J’ai un scoop du tonnerre : il y a encore des jeunes qui font de la moto. Alors si on regardait pour une fois les choses sous un autre angle ?

Sur les routes de France et de Navarre il n’est pas rare de croiser de superbes bécanes « youngtimers ». Surprise, lorsque leurs pilotes tombent le casque, ce ne sont pas des rides qui apparaissent mais des boutons d’acné. Qu’on se le dise : ce sont les jeunes motard(e)s qui sont au guidon de ces bécanes old school.

Attention, hein, ne mélangeons pas tout : je ne parle pas des gravures de mode façon « hipster vintage » qui contaminent depuis quelques temps l’actu moto. Ici, ça n’a rien à voir avec une quelconque tendance hype ou une inclination particulière pour le disco. Au-delà de toute considération esthétique, notre choix se porte bien souvent sur ces machines pour des raisons bassement matérielles. Personnellement, fou de mono, je rêvais d’un KTM 690 Duke. Je m’étais juré de faire un crédit sur 10 piges dès ma première paye pour me l’offrir. Sauf que tu réalises que sur un salaire, quand tu enlèves tout le bordel du quotidien, ben il ne reste plus grand chose. Alors j’ai finalement acheté un… Suz’ 1100 GSX-F de 88. Pour le prix des jantes de la KTM.

Je ne suis pas le seul à avoir choisi cette voie de la raison : pour Steven, 27 ans, son 600 XT de 92 lui a permis de débuter « sans casquer ». Idem pour Vincent, 26 piges, et son vieux Fazer qui avait déjà 80 000 bornes au compteur : « Avec ma première, je savais que j’allais me vautrer, alors autant prendre du pas cher ». Chez Camille, la petite trentaine (elle m’a demandé de rester discret), le prix aussi a été déterminant dans le choix de son superbe Zephyr de 98. Olivier, 32 ans, a opté pour l’Africa Twin car il cherchait une moto « pas chère et surtout peu coûteuse en entretien ».

Tristan, 28 ans, en « voulait une grosse » mais avait un mini budget : ce sera une 900 Div’. Même base pour le vieux side de Thomas, car pour atteler une moto récente à un panier, il lui aurait fallu vendre ses deux reins. Stéphane, un vieux de 36 printemps, y voit un placement sans risques : « Elles ne perdent pas de valeur et parfois même en prennent ».

Et pourtant, paradoxalement, si l’on tient compte de l’inflation et de tous les machins-trucs d’économistes, jamais les motos neuves n’ont été si peu chères (enfin j’entends les petites ER-6, MT-07 et autres, pas la dernière GS bien sûr). Alors pourquoi les gamins d’aujourd’hui préfèrent aller chiner sur le site où les coins sont bons une vieille guimbarde plutôt que d’acheter du 2016 ? Ben je pense que si dans les années 90, beaucoup étaient prêts à vivre dans un carton pour posséder la dernière 900 CBR, les mentalités ont quelque peu changé. On est peut-être moins jusqu’au-boutistes. Bien sûr, entre des études interminables, une situation économique pas folichonne et un permis (restrictif) payé rubis sur l’ongle, on est aussi certainement un chouia moins pressés de s’endetter. Mais ce n’est pas la principale raison. Là encore, rarement les taux d’intérêts n’ont été aussi alléchants pour acheter du neuf. Je crois tout simplement que les priorités ne sont plus les mêmes : la plupart des jeunes motards ne conçoivent pas de mettre ne serait-ce « que » 8 000 balles dans une première bécane. Je placerais plutôt la barrière mentale à 2 000 euros. En revanche, ce sont les mêmes qui trouvent normal l’achat d’un ordinateur ou d’une tablette à 1 500 euros. Ainsi, alors qu’il est en train de clipser sur son casque sa Go Pro connectée en direct par wi-fi à son Iphone flambant neuf, Valentin me raconte nonchalamment qu’il voulait un trail façon Paris-Dakar et que sa Tengaï à 900 euros s’était imposée vu qu’« il n’avait pas plus, de toute façon ».

Cependant, même si beaucoup d’entre nous sont plus à l’aise avec un clavier qu’avec une clef de 14, ça ne nous empêche pas de savoir apprécier la belle mécanique. Pour certains, ce sera même une école : Julien, 30 piges, a choisi son Africa Twin par « amour du faire soi-même, l’envie d’apprendre à entretenir sa moto seul ou entres potes, de toucher à tout ».

Mieux, je dirais que souvent achetés « faute de mieux », ces youngtimers réussissent à conquérir le cœur de leurs jeunes pilotes. Il n’y a qu’à les écouter en parler. Stéphane qui enchaîne les rallyes routiers ne jure que par sa CB 400 T de 1978. Steven « adore le battement solitaire » de son gros mono Yam’ (et son kick nécessitant le bon coup de mollet). Pour Tristan « il n’y a pas de moto plus polyvalente » (je vous rappelle qu’il parle de son paquebot de 900 Div’). Xav’ et Seb’, 31 ans, lui contestent ce titre avec leur paire de ZX6-R : ze solution selon eux pour enchaîner boulot la semaine, longues balades et endurance sur piste le weekend. Ces « mamies sportives » ont le mérite d’être moins exclusives que leurs descendantes. Baptiste, qui a parcouru 17 000 km à travers l’Europe et l’Asie avec un Transalp de 89 n’a de cesse de chanter la fiabilité à toute épreuve de sa machine. Car attention, dans l’esprit de ces jeunes motards, ce ne sont pas des modèles de collection ou des reliques d’un âge béni qu’ils possèdent. Ce sont leurs motos. Point barre. Si possible des motos à tout faire, avec lesquelles ils roulent tous les jours. Et n’est-ce pas finalement le plus bel hommage que l’on puisse rendre à ces bécanes ? Continuer à les utiliser, les dégueulasser, les faire chuter. Les faire vivre en somme.

D’ailleurs, quelle meilleure école de conduite qu’une moto qui se tortille comme une saucisse dans les virages et qui freine de manière (très) approximative ? Mon paternel le premier – au guidon de sa 1200 RT bardée d’électronique – s’exclame souvent : « Je ne sais pas comment on faisait, toujours à toc sur des machines où tout était aléatoire ». Nous, on sait. On fait surtout ce qu’on peut, comme vous jadis : freinant sans ABS, roulant à l’instinct et non en « cartographie sportive ». Olivier, qui n’hésite pas à traîner son vieil Africa Twin sur les traces d’enduro, résume tout en une phrase : « Une moto, ça se conduit les pieds sur les cale-pieds ». Le reste, c’est du détail. Certes, on avoine sûrement beaucoup moins qu’à la grande époque: plus de radars, plus de circulation, plus « raisonnables ». Mais ça, je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose. Et si la nouvelle tendance semble être de réinvestir dans ces youngtimers pour en faire des bêtes de salon ou des pièces de musée, tant mieux. C’est certainement à des minots contents de passer à plus récent que les anciens les rachèteront… à prix d’or. Dois-je vous rappeler le tarif effrayant d’un 500 XT aujourd’hui ?

Tout cela n’est qu’un constat. Il n’y a rien de négatif dans ce tableau. Bien au contraire : à rouler avec des machines plus vieilles que nous, forcément, on s’intéresse à leur histoire. A plusieurs reprises, j’ai vu des anciens scotchés par la culture moto des p’tits jeunes. Nous sommes pétris par cet héritage, façonnés par les aventures de nos pères. Ce n’est pas anodin si Thomas, 31 ans, s’est fendu d’un side de 1995 : c’est dans le panier de son daron qu’il est tombé amoureux de la moto. De son côté Olivier associera toujours son trail à « l’arrivée de la première étape du Dakar à Narbonne ». Gosse, il allait la voir avec son paternel, des étoiles plein les yeux. Steven et Valentin, qui n’ont pas grandi dans une « culture moto », ont rattrapé à toute vitesse leurs lacunes : il n’est pas une vidéo d’archive qui ne leur ait échappé. Merci YouTube ! Julien de son côté est fier du passé glorieux de sa machine : « C’est une moto connue et reconnue, une moto mythique, sans être une bombe, elle donne tout simplement envie de rouler loin ». Honda devrait l’engager pour la com’ de sa nouvelle Africa… Pour Vincent, le Fazer, c’était la moto des grands, « celle qu’il voyait dans les magazines » du haut de ses 10 piges chez le marchand de journaux. Pour Stéphane, ça relève carrément de l’hommage : « Le regard des anciens se remémorant leur jeunesse au guidon d’une machine comme la mienne n’a pas de prix ».

Pour être honnête avec vous, sous nos airs je-m’en-foutistes, je crois que nous avons un tantinet la pression. Nous voudrions tellement faire aussi bien que nos illustres aînés, avoir autant d’esprit motard, être autant maso du guidon… Peut-être que l’on cherche simplement cette  reconnaissance que l’on s’acharne à nous refuser. Quelle déprime de lire et d’entendre à longueur de temps que les jeunes ne roulent plus, que l’on ne peut « pas comprendre » alors que beaucoup ont comme moi adopté la moto comme style de vie à part entière. Je sais que nous sommes en des temps difficiles, que tout semble foutre le camp tandis que la jeunesse a l’air bêtement inerte, affalée devant ses écrans. Mais je vais vous demander de dépasser l’éternel conflit de générations, de croire en nous. Car, par-delà les modes, par-delà les ans, malgré ses évolutions, la passion reste.

Nous sommes des motards. Et nous sommes l’avenir.


Et en guise de bonus, j’en profite pour vous faire découvrir une p’tite vidéo du copain « 10 Balles Production« . Je trouve qu’elle colle bien à l’esprit de l’article et surtout, elle m’a fait mourir de rire. 

2 Commentaires

  1. Très bon article.bien écrit et tout.Dans les années ’70 on achetait une moto,et si on y mettait le prix c’est que c’était notre seul véhicule.Enfin quand je dis y mettre le prix,la cylindrée était souvent le reflet du portefeuille.Et on ne pensait pas à acheter de l’occasion car souvent les moteurs étaient nazes au bout de 30 000 km,absence de limites oblige.
    Mais actuellement les motos d’occasion sont fiables et souvent peu kilométrées,leur statut de véhicule de loisir faisant que…il n’est pas rare de voir des gens partir en vacances,traînant leur moto sur une remorque(!)ça c’était inconcevable il y a 30 ans.Mais pour le motard pratique l’occase est une bénédiction peu chère,fiable,déjà rayée et un peu rouillée on souffrira moins en se vautrant.
    Qu’il soit jeune ou vieux,un mec qui roule aura toujours ma sympathie,quelque soit son engin.

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