« Salut ma poule ! Tu fais quoi, dimanche ? Tu serais partant pour qu’on fasse un bout de route ensemble ? ». Le moins que je puisse dire, c’est que c’est typiquement le genre de SMS qui ne me laisse pas de marbre. Réponse donnée et renseignements pris, le projet se résumait à rejoindre le pote Denis chez sa dulcinée dans l’Ain et à le raccompagner en Haute-Savoie. Le seul impératif : être rendus à 9 heures du matin. Sachant que le point A se trouve à 1h15 du point B, qui se situe à 1h43 du point C, à quelle heure faut-il partir pour avoir le temps de boire le café entre copains ?

Après un rapide calcul, j’en arrivai à la conclusion qu’il fallait être sur la selle à 4h15. Non, pas 16h15. J’ai bien dit 4h15. L’occasion d’une jolie boucle au petit matin me semblait être une motivation suffisante. J’aime bien ça, moi, les petits matins. Je raffole de ces conneries de levers de soleil en rase-campagne. Si j’étais milliardaire, j’achèterai un lever de soleil permanent en rase-campagne rien que pour moi. La coke, les yachts et les putes, ça passerait bien après.

La dernière fois que Denis et moi avions roulé ensemble, c’était pour notre road-trip dans le Jura en septembre dernier. Autant dire que nous nous manquions mutuellement, et nos XJ se manquaient tout autant. Mais la fête n’aurait pas été complète sans le troisième larron de la team du 7- 4. C’est pourquoi je m’empressai de mettre Alain et son FJR attelé dans le coup. Horaires fixés, rendez-vous donné, c’était parti pour un petit matin d’été sans prétention.

Le temps de vider à l’arrache une bombe anti-crevaison dans mon pneu arrière à plat, de m’arrêter refaire la pression du pneu, d’en profiter pour faire le plein et me persuader que tout allait bien et je retrouvai Alain à l’heure dite et au lieu convenu. Alors que le jour pointait, nous quittions le Genevois. Et quand le soleil se levait, nous étions déjà à la frontière de l’Ain, avec le Rhône en contrebas. Traverser des villes et villages endormis, sillonner des routes désertes, admirer des vergers somnolents, longer des fleuves placides et franchir des rivières cliquetantes avec un pote à l’heure des croissants, je ne connais pas grand chose de mieux. C’est pour cette raison qu’on s’est arrêtés, juste comme ça, pour immortaliser l’instant.

 A 6h15 pétantes, nous arrivions à destination. Denis nous attendait. Sa meule était sortie du garage, le café coulait, son fils et sa chère et tendre nous ont rejoints pour nous poser autour de la table, sur la terrasse déjà inondée de soleil. S’ensuivit une demie-heure de récits, de vannes matinales entre deux gorgées de café au lait et une bouffée de tabac blond. Puis vint l’heure de repartir pour que Denis puisse être ponctuel à son rendez-vous. Le temps de sortir le jerrican de 20L du fourgon, de remplir le bidon de son 900 et nous étions fins prêts pour la seconde et dernière photo souvenir.

S’ensuivirent deux petites heures de route à travers des villes et villages éveillés, sillonnant des routes peu fréquentées, admirant des vergers qui s’étirent, longeant des fleuves enfilant leurs pantoufles et franchissant des rivières toujours autant cliquetantes avec deux potes à l’heure du petit blanc. Nous nous quittions un peu plus tard, sur les hauteurs du lac Léman. Lui retournant dans l’Ain, Alain et moi filant gaillardement vers un barbecue improvisé avec femmes et enfant. En rentrant, sur le coup des dix heures, on avait 250 bornes dans les jantes et la sensation d’une journée bien remplie. Rentrés juste à temps pour échapper à la chaleur, aux embouteillages et aux signes de la main des kékés en short sur leur roadster tout neuf.

Il ne vous aura pas échappé que cette histoire n’a rien d’extraordinaire. Pas de panne, pas de chute, pas de rencontre du troisième type ni de voyage initiatique à la recherche de notre Moi profond, fait de découvertes de cultures dépaysantes si authentiques qu’elles nous auraient poussé à nous remettre en cause en tant qu’êtres humains, à repenser notre place dans l’univers et à appréhender la sagesse bienveillante de l’instant à travers le prisme salutaire et éco-résponsable du riz basmati. On n’a pas traversé de désert ni dormi avec les touaregs, on n’a pas fait le plein d’une Enfield de location à Oulan-Bator ni fait semblant de resouder un porte-bagages dans un village de pêcheurs au Yemen. Non, on a bu un café chez Denis.

Mais avouez qu’il n’y a pas beaucoup d’autre passion que la moto qui vous pousse à faire 200 bornes rien que pour boire un café avec deux potes. De toute façon, je préfère de loin un café dans l’Ain avec Alain et Denis qu’un thé à la menthe à Jakarta tout seul avec mon I-phone.  

 

Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
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