Mon frère ça a toujours été une cause perdue pour la moto. Pourtant, il avait tout pour s’inscrire dans la tradition familiale : de deux ans mon cadet, il n’avait qu’à récupérer mes bécanes quand je changeais de taille. Ce n’est pas qu’il n’était pas doué ou qu’il en avait peur. C’est juste que ça l’emmerdait profondément d’essorer la poignée de son piwi comme un couillon. Alors que moi, il fallait m’attraper par le colback pour m’en faire descendre à l’heure de la soupe.

 Lui, il préférait jouer au rugby ou faire de la boxe. Des sports de lopettes quoi. Et ça ne s’est pas arrangé en grandissant : le type s’engage à l’armée. Tu te rends compte ? Alors que chez nous on est réformés de père en fils depuis Du Guesclin ! Une catastrophe ce petit.

Les années passent et l’hiver dernier, le voilà qui décide de passer le permis moto. Tout le monde en reste la bouche ouverte. Mais il nous rassure de suite : « Non, non, ça ne m’intéresse toujours pas ». Mais alors pourquoi ? Ben pour le package voyons : Saint-Cyrien en uniforme clinquant, sportif bodybuildé et cuistot expérimenté. Il ne manquait plus que motard à sa carte de visite pour que celle qui oserait éventuellement, peut-être, par hasard, miraculeusement, ne pas tomber sous son charme succombe instantanément. Bref, pire que de ne pas faire de moto, mon frère voulait devenir un « kéké en roadster ». J’y offre son premier casque, histoire d’être sûr qu’il prenne un intégral. Et il choisit le… Vancore de chez Shark. Plus kéké, tu meurs. Mon père y déniche des affaires en or : CBF, Bandit, Fazer,… Non, non et non. Lui il veut un beau pot qui crache et une jolie peinture. Coup de foudre pour un 600 GSR aux jantes « cuivrées ». Kéké boy. Un top case ? Des valises ? Un pantalon de pluie ? « Non mais sérieux ? Vous croyez que je vais voyager ou balader sous la pluie ? ». Irrécupérable.

Puis il a commencé à rouler. L’été est passé. Voici venu l’automne. Chaque semaine, quand on s’appelle, j’y demande « Alors, voiture ou moto ? » Au début, il faisait beau, il allait bosser à moto. Puis il s’est mis à pleuvoir et à faire froid. Il a acheté un pantalon de pluie et a continué à aller au taf au guidon. Il est vert mon frangin. Il est obligé de se rendre à l’évidence : comme son père, comme sa mère, comme son frère, il est un foutu motard. Et il a acheté un vrai intégral avec une visière…

En fait, on a pas été surpris de cette conversion, il s’était déjà trahi sans le savoir. J’te raconte. Militaire oblige, il a dû déménager cet été. Ne pouvant pas conduire sa moto et sa voiture en même temps, c’est bibi qui s’y est collé (tu te doutes qu’il n’a pas fallu me supplier longtemps). On est partis à deux avec le paternel en direction de Bourges. On suivait le road-book virevoltant que j’avais tracé à mon frère pour son premier road-trip deux mois auparavant. Il l’avait tombé en 3h30 finger in the nose. Donc en comptant l’aller-retour, on se disait qu’à midi on serait largement rentrés au Puy avec le GSR. Une « opération de routine » quoi.

Sauf que rien qu’à l’aller, on met 6h. Bon, j’étais au guidon du paquebot parental. Pas la même moto, pas les mêmes repères et un inspecteur dans le dos. Les jours sans, ça arrive. Mais on était un peu vexés quand même. A Bourges, mon frère se fout de nous. Pire, il se moque de la béhème chérie du papa. Le truc à ne pas dire. Le daron pose son cerveau avec délicatesse dans le top case. Ferme sa visière et branche son intercom sur Radio Nostalgie. Jeannot-les-années-80 repart en trombe, la RT crachant des flammes. Moi je passe rapidement du stade « je roule sur un roadster pour la première fois » à « je sors le genou dans les virages pour la première fois ». On roule fort, très fort. Pourtant, au premier plein, on est déjà à la bourre. On remet la sauce, plus d’arrêt jusqu’au Puy. Pas question que le p’tit chouchou de Mam’ fasse mieux que nous.

On arrive au Puy, les motos font clic-clic-clic de partout. J’ai le dos en compote (roadster), le casque et le blouson dégueulassés d’insectes (roadster), les fesses tannées comme du vieux cuir (roadster), le cou allongé de 10 cm (roadster). On regarde le chrono. 5h ?! Bordel mais c’est Stoner ce mec ? 3h30, à moins de toucher le coude dans les virlos, ce n’est pas possible sur ce parcours! Le frangin arrive peu après, en caisse, la bouche en cœur. On lui fait un interrogatoire serré : « soit t’es la réincarnation de Barry Sheene, soit tu nous a enflés en passant par l’autoroute ». Comme quand petit il cachait les cartes du Uno sous la nappe de la table. Mais impossible d’y faire cracher le morceau.

Et alors là, on a su que c’était bon. Il avait l’essentiel, l’ADN même du motard : la mauvaise foi.

Depuis, on le surnomme « Rossi ». Et on a pas fini de le chambrer avec cette histoire…

Thib 4

4 Commentaires

  1. Tout sisimplement génial cet article comme a chaque fois ?
    La nostalgie en voyant la photo en tête de page qui doit daté d’il y a au moins 15 ans ? On était encore des minots a cet âge-là ?
    Belle histoire, très marrante, raconté comme il se doit ?
    Le coup de : Je vais passer le Permis Moto « Non, non sa neintéresse toujours pas » à « C’est juste pour le package : St Cyrien,… » ? Juste énorme ! Trop fort ce Tibo ?
    Alors que tout sa en fait, c’était le début (ou la reprise) d’une passion oublié ?

    Gros bisous la famille des motards ?

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