On en a tous fait l’expérience : quand tu vas bosser tous les jours à peu près aux mêmes horaires, tu te retrouves assez vite avec les mêmes clampins sur ton trajet. Il y en a certains, s’ils n’étaient pas là, tu ne t’en porterais pas plus mal. Du genre ce type en Opel Astra qui tous les jeudis bouche la rue le temps d’acheter ses clopes. Et puis il y a les motards. Ou plutôt leurs motos. C’est vrai, avec nos casques et nos cuirs, on se ressemble tous à moins d’avoir investi dans la combarde replica de la mort qui tue. Par contre, on oublie rarement la bécane en dessous du type.

Cette semaine, je voulais rendre hommage à mon copain anonyme du mercredi matin.

Début septembre, je me rendais au bahut un peu angoissé, me demandant si les élèves de cette année allaient me manger tout crû. Je roulais encore sur mon vieux 1100 GSX-F. Un sublime modèle de 1988 (comme moi) avec ses 100 bourrins onctueux comme tout, son freinage « vintage » et son amorto arrière parfaitement rincé. Une moto passion. Et surtout une moto dans mes moyens. Au feu rouge des quat’chem’, je suis tiré de mes pensées pédagogiques par le timide ronflement d’une Gladius. Le mec – environ mon âge – vient se placer à côté de moi. Très courtoisement, il me fait un signe de tête amical, que je lui rends avec mon plus beau sourire. Tellement rare un type qui dit bonjour à Paris. Il est bien long ce feu. Je suis obligé de tourner un peu la poignée du GSX-F parce que son ralenti et ben il ralentit un peu trop. Le type d’à côté en met aussi un petit coup.

Je le regarde. Il me regarde. Il baisse sa visière. Je baisse ma visière. Le feu passe au vert.

GAZZZ !

On se tire la bourre jusqu’au feu d’après. Et encore celui d’après. Et ainsi de suite. Vers Blanc-Mesnil, petit remerciement du pied et on se quitte. Comme dirait Valoche « merci pour ce moment ». J’arrive au collège remonté à bloc, cette année, c’est moi qui les bouffe tout crûs les boutonneux.

Ce petit jeu a duré un bon gros mois. Un coup lui, un coup moi. Bien sûr, il y avait des feux où on se faisait signe « non » de la tête : trop de bagnoles, un bus au milieu, trop de piétons,… Se dégourdir les bielles en allant bosser, oui, tromper la mort, jamais.

Et puis il a fallu que je me sépare de ma pièce de collection pour une moto plus sécurisante, moins gourmande en conso et en consommables. Un truc raisonnable de petit joueur, un truc pour la ville mais moins moche qu’un scoot quand même, un truc pas cher, un V-Strom quoi. Le premier mercredi matin au guidon de ma nouvelle machine, je me sens un peu nostalgique. Fini les conneries. Le V-Strom c’est ton âge de raison mon vieux. Pas de vibrations qui font bouger les rétros, un silencieux qui fait encore moins de son qu’un aspirateur. Bordel que c’est triste comme bestiole. Au moins ce n’est pas pousse au crime pour deux sous. Une moto pour le mec mature et responsable que je suis. En gros, c’est une caisse à deux roues. J’arrive aux quatr’ chem’. Feu rouge. Tiens mon copain et sa Gladius.

Il me regarde. Je le regarde. Salut. Il baisse sa visière. Non, non, c’est fini pour moi. Il fait ronfler son moteur. S’il te plait pas ça. Le feu passe au vert. Oh et puis merde !

GAZZZZ !

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