Pour certains, la moto c’est comme du panaché pour un alcoolique : y en faut beaucoup avant d’être satisfait. Pour certains aussi, la moto c’est comme l’aquariophilie : hiver ou été on s’en tape, le principal c’est d’être avec son aquarium. Notons que c’est souvent les mêmes, d’ailleurs. Non pas que tous les aquariophiles soient des pieds de vigne, mais que la catégorie de motards à qui il en faut beaucoup est souvent la même que celle qui se fout royalement de la saison. Même si pour diverses raisons, choix et responsabilités je ne roule pas autant que je le voudrais (mais qui le peut, en fait ?), je fais partie de ceux-là. Et j’ai la chance immense d’être entouré de potes qui, pour la plupart, en font partie aussi. C’est un avantage non négligeable, ça, quand on se porte candidat aux hivernales.

Je tenterai de répondre immédiatement à la sempiternelle question posée à ces mêmes candidats lorsqu’ils sont interrogés dans leur milieu naturel : mais pourquoi tu fais ça ?

Au départ, j’en savais trop rien. Inutile de nier qu’y a une partie d’orgueil, là dedans. On cherche à se prouver quelque chose. Mais c’est plus riche que ça, en fait. Plus profond, plus complexe. C’est comme descendre tout au fond de soi, explorer les abysses de sa personnalité.

Je ne dis pas que c’est surhumain, comme expérience. Je ne dis pas qu’on brave la mort et l’impossible, qu’on est de la lignée de ceux qui ont remonté le Nil jusqu’à sa source ou construit un Center Park au milieu de l’Amazonie avec une brouette, un marteau et un fil à couper le beurre, non. Je pense en revanche que si les hivernales ne sont apparues qu’après-guerre, c’est pas par hasard.

Jusque là les vies étaient suffisamment rudes, le confort suffisamment sommaire pour que les gonzes aient envie d’aller se poser le cul dans la neige par-dessus le marché. Ils avaient des journées assez dures et remplies comme ça pour avoir ne serait-ce que l’idée d’en rajouter une couche. Puis le confort moderne est arrivé, nos vies sont petit à petit devenues plus « train-train », l’individualisme a gagné du terrain, et les gens dans notre genre ont commencé à s’emmerder sec. Parce que faut admettre qu’entre deux guerres mondiales coup sur coup et des soucis de bureau, d’atelier ou de tri sélectif, le niveau des problèmes et des questions existentielles a drôlement chuté.

Ils ont donc cherché à retrouver une chaleur et une entraide qui, sans aller jusqu’à dire qu’elles disparaissaient, se dissolvaient peu à peu dans un monde en pleine métamorphose. Et comme déjà à la base ils n’étaient pas foutus pareil que les autres, ceux qui le pouvaient roulaient à moto (pour des questions de liberté, de contestation, bla bla bla).

Ajoutez à ça une pincée d’insatisfaction viscérale, une cuillère à café de mépris de la météo (ingrédients mentionnés en début de texte), secouez bien et vous obtenez des motards qui bivouaquent dans la neige.

(Et quand je dis « secouez bien », faut vraiment bien secouer, hein ? Faut pas que la pulpe reste collée au fond.)

Parce que c’est surtout ça, les hivernales. Le but n’est ni l’exploit ni la fierté. La première fois je dis pas, peut-être un peu quand même. Mais les fois suivantes, en tout cas quand il y a des fois suivantes, plus du tout.

Si ceux qui passent leurs hivers depuis des années et des années à toutes les faire, qui n’ont de fait plus rien à prouver à personne continuent quand même à y aller, c’est qu’y a forcément autre chose là dessous… Faut pas les prendre pour des tanches, les mecs. Ils font pas ça parce qu’y a rien d’intéressant sur la TNT le weekend. A mon avis, ceux-là, c’est ni comme des héros ni comme de vrais durs à cuire qu’il faut les regarder, mais comme de véritables humanistes, des gens qui aiment retrouver l’autre et ne laissent jamais tomber personne.

Le froid et la neige associés à la moto sont des éléments tellement incompatibles, en théorie, que ça créée les conditions idéales à la fraternisation concrète, à l’entraide réelle. Jamais tu ne verras un mec tout seul en pleine galère dans une hivernale. Et ça, c’est pas par hasard. Et surtout c’est assez exceptionnel pour être noté.

Enfin voilà, c’est comme ça que je comprends une hivernale, moi. Et c’est comme ça que je la vis.

Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
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5 Commentaires

  1. Papier intéressant sur le sujet. Et je suis complétement d’accord avec ta conclusion.
    Des hivernales, j’ai eu ma période et j’ai fait quelques grandes classiques.
    Au début, on se dit que l’on a bravé les éléments, mais c’est surtout pour y retrouver des potes, une ambiance, et surtout ne pas faire partie du monde, marquer sa différence.
    Parce que en fin de compte, on vit le frisson un week-end dans du matos de plutôt bonne qualité pour dormir comme le font les SDF à longueur d’année.
    Eux seraient en légitimité de demander: « Mais pourquoi tu t’infliges ça? »

    Philippe

  2. J’ai commencé a rouler il y a 51 ans dès mes 16ans, je vis dans les Ardennes belges. Chaque année je faisais « la nuit d’Ostende en Décembre, les « Elephants » en janvier et ‘l’Ours blanc » en février. Maintenant, mes anciennes fractures se rappelant à mon bon souvenir dès octobre/novembre, je ne sais plus les faire, mais je reste nostalgique de cette époque. Je roule toujours, c’est pas ça, mais j’attend mars ou avril 🙁 . Qu’il était bon de se retrouver autour d’un feu de camp bardé de papier journal entre le gros pull et le barbour, de se bourrer la gueule au schnaps pour finalement ramper ds sa tente qui heureusement était souvent juste derrière nous. Souvenirs, souvenirs.

  3. Salut.
    Oui, l’article résume en substance le contenu et l’esprit d’une hivernale.
    Bien que la jeune génération de motards (je n’évoque pas ici le temps de permis ou l’âge) vienne à ces hivernales pour se « selfier » et dire « j’y étais » ! Dommage !

    N.B. Papy riders ; si tes ptits bobos se réveillent à la mauvaise saison c’est peut-être aussi parce que tu t’enfermes dans ton confort moderne et que tu ne bouges plus. Un corps qui a eu l’habitude d’être ‘remué’ s’encroûte vite lorsqu’il est assoupi …. alors (re)-bouge toi et roule avec tes potes, à plusieurs c’est plus facile, que diantre !!!
    Prudence et bonne route !!

    V

  4. Je suis allé aux éléphants en 1997, seul, pourquoi ? Parce que quand tu en discutes avec tes copains, au bord d une piscine, en plein mois d ‘août avec un mojito à la main, tu ne regardes que le côté sympa d une bonne virée à moto et pas la sensation du moins 20°, des routes glissantes, de la moto qui ne démarre pas, et puis l automne arrive, au départ nous étions 7, quelques défections et début janvier arrive, il commence vraiment à faire froid et puis une semaine après tu te retrouves seul, j y vais j y vais pas, et puis comme tu aimes les défis tu y vas, et sur place tu es content d être là, et seul c est le meilleur moyen de faire pleins de rencontres, franchement je ne regrette pas d y être allé.

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