H+0

Ça y est j’y suis ! Ça fait des semaines, des mois, que dis-je, des années que j’attends ce moment. Il y a encore deux semaines à peine, je ne savais pas que j’allais pouvoir y participer. Encadré par Max à ma gauche et Frédo à droite, nous voilà sous la fameuse arche jaune marquant le départ du Hard Alpi Tour.

Submergé par mes émotions, je ne sais plus faire la différence entre le trac et l’excitation. Dans le public, Julien immortalise le moment, en faisant de photos de notre équipe (enfin surtout des deux umbrela-girls). Il me fait un gros clin d’œil. Cinq, quatre, trois, deux, un,… le commissaire agite un grand drapeau européen. C’est le top départ. 550 km nous attendent, dont 70% d’off road dans les Alpes italiennes.

25

H+1h30

Dès les premiers chemins, les paysages de la province de Cuneo dans le Piémont nous sautent aux yeux. On enchaîne les pistes. Mais rapidement Max me fait signe qu’il est à plat. Enfin, pas Max, mais son pneu arrière. Le chemin est assez étroit et nous sommes en plein virage. Avec Fredo et moi, nous signalons et protégeons  notre pote en détresse le temps de trouver un endroit plus approprié pour réparer cette crevaison. Démonte pneus, chambre à air, compresseur, et surtout, surtout, mon accessoire top secret : le gel anal… On est bien d’accord que je m’en sers juste pour monter les pneus, bien sur. Bandes de tordus. Ni une, ni deux, la roue est démontée. Mais pourquoi a t-il crevé ? Il n’a pas pincé, il n’y pas d’épine, par contre la chambre est déchirée. J’inspecte le pneu quand une trace à l’intérieur attire mon regard : un caillou avait largement déchiré le fond du pneu. A gros coups de scotch US on y fait un beau « pansement » pour éviter que des particules rentrent ou que la chambre se fasse la malle. Et nous voilà repartis comme en 40 ! Sauf qu’on vient de passer trois quart d’heure au bord de ce chemin. Déjà à la bourre…

16-1

H+3h

Bim ! Je viens de me mettre au tas. Ça, c’est fait. Il y’avait une seule partie boueuse dans tout le parcours, ça a été pour ma poire. J’ai bêtement perdu la roue avant dans le bourbier. L’Africa s’est mise à glisser, droite-gauche, impossible de la remettre sur les rails malgré tout mes efforts. « Arrête-toi ! Arrête-toi ! Arrête-toi ! » Rien n’y fait. La garce a préféré se coucher lamentablement tandis que je roulais deux mètres en contrebas du chemin.  

Une fois la mémère relevée, je rejoins au premier pointage mes coéquipiers. Malgré le coup de chaud de ces dernières minutes, je reste scotché par la vue. Sublimes montagnes. Mais rudes montagnes. Je fais le bilan de ce début de parcours : passages techniques, fatigue physique, ennuis mécaniques. Clairement, le Hard Alpi Tour n’est pas une rando plan-plan à travers les Alpes. C’est un putain de défi physique, mécanique, et psychologique. « Qui va piano, va sano… » qu’ils me disent. Bien merci les gars, ça me fait une belle jambe vos proverbes. 

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H+3H15

« Bon, t’es prêt Olivier ? On peut y aller ? » Max – surexcité – est  impatient  de découvrir le reste du parcours. Pour moi, ça va être la partie la partie la plus impressionnante. Et la plus fun aussi. Pendant près de quarante minutes, on évolue sur une piste à flanc de montagne, avec le précipice en contre bas. On traverse deux tunnels, dont un assez long et tortueux, creusé à même la roche d’une falaise qui nous barre la route. Et puis soudainement, nous basculons en France. Avec Max on se met en mode « Dirty Pirates » : sauts sur chaque bosse, enchaînements de virages rapides en « trajectant » comme des guedins et longues lignes droites de graviers sur lesquelles ouvre en (très) grand. Jou-i-ssif !

27-1

H+6h

La nuit est tombée sans prévenir. Tout prend une autre dimension. Voilà plus d’une heure que l’on roule tous phares et projecteurs allumés. Le champ de vision se limite aux quelques mètres de nos faisceaux lumineux. Par moments on aperçois les bas cotés : « Tiens une prairie ! Tiens une forêt ! Tiens un… ravin ! ». A ce moment là mon esprit imagine tellement de choses faute de pouvoir les voir. « Concentre-toi, concentre-toi » résonne en boucle dans ma tête. Le paysage change. Le ciel, d’un bleu foncé, nous laisse deviner la ligne de crête des sommets qui nous entourent. En bas, tout au fond,  parfois, on voit les lumières jaunes des éclairages publics. Nos roues croquent la piste à pleins crampons. Régulièrement, le gravier et les pierres laissent place à une vieille voie pavée. Je me demande si nous ne sommes pas sur une ancienne piste militaire. Mon intuition se confirme quand au détour d’un virage nos phares illuminent un vieux fort Napoléonien. La scène est tout simplement grandiose !

La piste laisse place au bitume. Un petit groupe semble en rade sur le bord de la route. On s’arrête pour filer un coup de main, croyant tomber sur des « concurrents ». Mieux : c’est Julien et Laurent – venus en spectateurs – qui sont affairés autour de l’Africa de Ju au milieu de nulle part en pleine nuit. Mouhahahaha. Ça fait plus d’un an que ce psychorigide de l’entretien me reproche de ne pas prendre soin de mon bousin. Et là, c’est lui qui tombe en panne ! Rien que pour le chambrage de niveau international auquel il a eu droit ça valait la peine de faire le hard Alpi Tour ! Pour la petite histoire, sa moto ne repartira pas de suite, mais ça je laisse au pauvre Julien le soin de vous le narrer dans un prochain texte. Avec mes équipiers, nous reprenons notre roulage noctambule.

31

H+9h30

Arghh ! Foutu Karma ! J’aurais mieux fait de me taire ! Pendant une longue liaison sur route, c’est à mon tour de tomber en rade. Nous avions alors pris la tête d’un groupe d’une dixaine de personnes. Cernés par des falaises encaissées au fond d’une gorge, sur une route si étroite que le bas coté n’existe pas, nous roulions avec un rythme assez soutenu. En plein milieu d’un long droit, c’est le black-out total. Plus rien, nada, walou. Plus d’allumage, plus de lumière. Invisible. Et la meute derrière moi qui déboule à fond les ballons. Sur l’élan, je fini le virage. Fredo qui me talonnait a de suite compris la situation et s’est mis en protection avec les feux de detresse. Et pour le coup, c’est vraiment la détresse. Un sacré moment de solitude jusqu’à ce que je trouve le fautif : mon chargeur de téléphone s’est fracassé dans ma prise douze volts, ce qui a produit un court-circuit. Le fusible du relais de démarreur à fait son taf en faisant… fusible. Un prince, un taureau rouge et c’est reparti. Plus de peur que de mal.

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H+14h30

Dur. Sur le moment c’est la seule chose que j’ai en tête. Les pistes se sont enchainées sans se ressembler, toujours dans cette ambiance surréaliste. Le credo de chacun semble être de continuer à rouler coûte que coûte, serrant les dents et le guidon, visière ouverte pour ne pas s’endormir. On enchaîne les ravitaillements et leurs équipes rodées qui nous aident à traverser cet océan d’obscurité. Il est cinq heures. Plus tôt dans la nuit, nous avons recollé un autre groupe de copains : Jean-Pierre, Fafa, Kadou, et Patrick. « L’union fait la force… » Et justement à défaut de cette dernière, nous optons pour la première. Fourbus, nous nous arrêtons dans une prairie au bord de la piste pour nous reposer un peu. Certains s’étendent à même le sol. Pour ma part c’est allongé sur la selle moelleuse de ma moto que je m’endors. Soyons clair, c’est loin d’avoir été la meilleure nuit de ma vie. Mais elle a été suffisante pour recharger un peu mes batteries. L’humidité et le froid ne nous ont pas lâché la grappe une minute. Peu importe : une heure plus tard à peine, JP, en paternel improvisé de cette petite famille de fortune nous réveille en nous secouant l’épaule. Dans quelques minute le soleil va pointer le bout de sont nez, hors de question de rater ce moment. Les muscles raidis par le froid et la quinzaine d’heures passées sur la moto, nous repartons tant bien que mal. Je bute sur les cailloux, je dérive dans les ornières comme une bille de flipper. A croire que je n’avais jamais fait de tout-terrain. Plus aucun réflexe, plus de sens du pilotage. Mais qu’est-ce que je fout là bordel ! J’aurais pas été mieux au chaud sous ma couette ce dimanche matin ? Mais il est trop tard pour se poser ce genre de question. Roule Olivier, roule. Roule encore. Bas-toi !

Enfin le soleil se lève et ses rayons timides commencent à nous réchauffer. Heureux d’avoir passés la nuit, les esprits se laissent aller à la divagation. C’est alors qu’avec Fafa et Kadou, nous réalisons que nous avons perdu la trace. 4 kilomètres aller (puis retour) dans un pierrier. Le moral est en berne. Mais on continue de lutter, rêvant à un troquet avec un café chaud.

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H+20h

Nous passons de montagnes en montagnes, de vallées en vallées, égrainant les kilomètres dans un nouveau souffle caféiné.  Alors que je suis en train de photographier le groupe, Fredo en queue de peleton s’arrête à coté de moi et m’interroge « Je ne vois plus Max depuis un petit moment ». Confiant je lui réponds « Continue avec les autres, je l’attends et on vous rattrapera ». On ne les reverra qu’à l’arrivé.

J’attends cinq, dix, quinze minutes, une demie-heure, une heure. Le cerveau surement trop lessivé pour avoir l’idée d’aller à sa rencontre. Et puis s’il avait dérivé de la trace comme nous tout à l’heure ?  C’est le plus sûr moyen de se rater. Bref, je ne bouge pas. Quelqu’un fini par arriver : « Eh ! T’a pas un pote en XTZ ? » Il est de nouveau à plat et c’est… moi qui ait le matos. Entre-temps, grâce à un bon Samaritain (enfin, il était Italien en l’occurrence), Max a pu réparer pour la deuxième fois ce week-end sa roue arrière, avec une bombe anti-crevaison. On a bien sûr renoncé à rattraper les autres. Mais rallier l’arrivé dans les temps restait jouable : 2h. 100 km

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H+22h

Et puis c’est le coup dur de trop. Tant d’efforts, tant de détermination pour se taper finalement une… troisième crevaison. Max poissard comme jamais à son pneu carrément déchiré et ça empire à chaque pierre. Plus de chambre de rechange. Et encore 60 km de pistes face à nous. Il faut se résoudre à abandonner et rentrer en douceur par la route. Si près du but c’est une véritable souffrance. Nous nous serrons les coudes. Nous faisons bonne figure face aux lois immuables des sports mécaniques. Ça arrive. C’est tout.

Mais cachés derrière nos masques, nos yeux sont rouges.

Sur la ligne d’arrivée, les copains sont là et nous mettent du baume au cœur. La tristesse des dernières heures cède la place à un autre sentiment : le désir de prendre notre revanche ! L’an prochain, nous serons là ! Plus forts. Plus prêts. Plus motivés que jamais pour relever le défi du Hard Alpi Tour.

Entre poussière, rires, amitiés, chutes, entraide, cambouis et larmes, je savais que je venais de vivre ces dernières 24 heures une formidable aventure humaine. 

Plus de photos : L'album à tomber par terre de Max 

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