Lorsque mon paternel m’a annoncé qu’il venait d’investir dans une Montesa 4RT Repsol, je me suis dit qu’il me fallait absolument l’essayer. Parti de Paris, j’ai tracé plein Sud direction un bout de colline près de Methamis (Vaucluse), superbe terrain de jeu aménagé du moto club mazanais. C’était une journée « débroussaillage » afin de préparer les zones de la manche du championnat de Provence qu’ils organiseront le 10 avril prochain. Forcément, en plus des sécateurs, ils avaient pris leurs tronçonneuses à deux roues. Faut bien un peu de réconfort après l’effort. Ayant bien calculé mon coup, j’ai béquillé mon V-Strom à côté de leurs trials au moment où ils étaient en train de quitter les chaussures de sécurité pour enfiler leurs bottes.

Et c’était parti pour le bal des cabris, bondissant d’un rocher à l’autre, s’arrêtant griller une clope de temps en temps, se conseillant les uns les autres et se chambrant beaucoup aussi, ils m’offraient un vrai show sans s’en rendre compte. J’en ai même oublié de tester la brêle du daron. Il faut dire qu’un beau soleil couchant, étirant la cime des pins autour de nous, donnait à toute la scène une sorte de teinte sépia, légèrement hors du temps. Cette joyeuse bande de funambules en tenues de chantier auraient de quoi faire baver les hipsters de chez Blitz. Sauf qu’eux, c’est du 100% naturel. Juste un dernier moment ensemble avant de rentrer dans leurs pénates.

Tous étaient aux petits soins avec David. « Allez David, ça passe là, ne réfléchis pas trop ». « Dis David, tu trouves pas qu’il y a un truc qui déconne sur mon embrayage ». Mon père me glisse sur le ton de la confidence : « Il ne te le dira pas, mais il est champion de Provence en senior 3 le gosse là ». Ah quand même. Je me disais bien qu’il gérait du slip avec sa superbe Beta 300 Factory. J’ai donc profité d’une pause binouze pour tailler une bavette avec ce BG d’à peine 25 piges.

David, il faisait un peu de motocross quand il était petit. Mais son père ne voulait pas qu’il aille rouler dans les chemins avec son avion de chasse pas homologué (encore heureux). Du coup, à 18 ans, le permis en poche, il a décidé de se mettre au trial. Là au moins, il pourrait aller où il voudrait. En toute légalité et en décrochant souvent un sourire aux promeneurs. C’est tellement lent et silencieux une trial que ça en serait presque écolo. Bon par contre, il était le seul du canton à avoir une brêle sans selle. Alors il a été obligé de s’exiler dans les Alpes, à Ancelles, pour trouver un club. C’est un peu dommage. Surtout que ses parents était justement membres du moto club de Mazan qui rassemblait environ 150 passionnés autour de différentes sections : tourisme (route), enduro et quad. Oui mais pas de trial. Il demande à sa mère de leur soumettre l’idée lors d’une assemblée générale, à tout hasard. Et paf, le voilà à vingt piges bombardé responsable en chef et seul et unique membre de la section trial du moto club mazanais. Il crée une page facebook, le bouche à oreille fait son chemin dans le club et dans les villages alentours et quatre ans plus tard, le voilà entouré d’une quarantaine de trialistes forcenés. Ali David et ses quarante copains quoi.

Il faut dire qu’il a la passion communicative le David. Pourtant, c’est pas un exubérant, pas une grande gueule pour deux sous, il est même carrément timide. Mais quand il te parle de trial, ses yeux brillent et un sourire se dessine à la commissure de ses lèvres et – surtout – tu ne l’arrêtes plus. Pour lui, se concentrer sur sa zone, c’est un moment d’évasion absolu, un instant où il oublie tout. A peine descendu du pataud bulldozer qu’il pilotait au quotidien pour gagner sa croûte, il enfourchait sa trial. Passer une heure ou deux à travailler son équilibre, grimper un rondin de bois dans la cour, c’était comme partir en vacances.

Plein d’idées et d’idéaux pour sa passion, il s’embarque dès la seconde année de son « mandat » dans l’organisation d’un trial amical. L’esprit moto club fait son œuvre : routards, quadeurs et enduristes viennent lui prêter la main, préparer les zones. C’est un franc succès. Sauf qu’il y a eu… 40 participants. Mazan ? Personne ne connaissait. A l’époque. L’année suivante ils s’attaquent carrément à l’organisation d’une manche du championnat de Provence. Gros défi pour cette bande de potes. Ils vont gérer ça à leur façon, en petits passionnés qu’ils sont : buvette chaleureuse, baraque à frites, crêpes maison. Le père de David a rameuté tous ses copains amateurs de 4×4 pour faire la navette du parking aux zones perdues au milieu des combes. Les spectateurs, comme les participants, vont en garder un souvenir mémorable. Cette mentalité bon enfant n’est forcément pas passée inaperçue et l’année suivante, ils font péter le record de participation du championnat : 107 concurrents. En trial ça équivaut presque à Woodstock ! Et à voir tous ces bénévoles déjantés venus préparer les zones de la prochaine édition la débroussailleuse à la main tout leur dimanche plutôt que de glander devant la téloche, je me dis que le trial de Mazan n’est pas prêt de perdre son « copain spirit ».

David, tu l’auras compris, il a du mal à faire les choses à moitié quand il s’agit de trial. Il s’est donc lancé dans une nouvelle aventure il y a peu. La plus risqué certainement : vivre de sa passion. Il a balancé toutes ses économies dans son rêve de toujours : un magasin de moto. Spécialisé dans le trial, bien entendu…

power-zone

Alors que j’hausse un sourcil d’inquiétude, il me raconte que sont les deux jumeaux de la section trial Nico et Arnaud qui lui ont filé les locaux. Et puis il m’explique que les potes ont attendu qu’il s’installe pour changer leur meule (et lui obtenir ainsi le sésame de « distributeur »). D’accord, je comprends mieux : ce magasin, à l’image de ce club de trial, c’est une histoire de copains, de solidarité motarde. C’est de la passion à l’état brut. Inauguré le 28 novembre, le minuscule Power Zone de Monteux sent bon le bouclard d’antan, celui où tu peux passer une aprem sans t’en rendre compte. Ouvert seulement les soirs et weekends dans un premier temps – David conservant son job alimentaire en « sécurité » – il a enfin fait le grand saut en février dernier. La première zone est donc franchie sans poser le pied. En avant pour les prochaines. Mais je lui fais confiance, il est déjà plein d’idées pour la suite. Et il est bien entouré.

Quand j’ai réalisé que ce mec de 25 piges avait monté un club de copains, pardon, de trial, qu’il était champion de Provence et qu’il avait déjà ouvert sa boutique de bécanes, je suis resté tout penaud ma bière à la main. C’est moi ou il a déjà réussi sa vie ? J’avais envie d’être jaloux comme un poux. Mais le problème des mecs sympas et passionnés, c’est qu’on n’arrive jamais à leur en vouloir.

Et puis il m’a laissé essayer sa Beta de pro de la mort qui tue. Et ça, ça m’a vachement aidé à lui pardonner mine de rien.

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