Ce dimanche, nous étions dans le train avec ma copine en direction de Tours. Oui ça part mal comme anecdote motarde. Elle, morte de trouille, révisait ses fiches pour le concours qu’elle passait le lendemain. Moi, relax, chargé seulement du soutien moral, je dépliais amoureusement une carte IGN. Ce sont mes 40% prof de géo ça. Le gars assis en face de nous, en short et godillots, le menton appuyé sur son bâton de marche en a été de suite tout émoustillé : « Vous préparez une randonnée ? Je descends faire les châteaux de la Loire à pied ! » J’aurai pu la jouer finement et inventer un sympathique périple pédestre pour être tranquille, mais ça été plus fort que moi, j’y ai expliqué que je préparais une randonnée… à moto tout-terrain. Le sourire s’efface. Les préjugés arrivent. Ça tombe bien, j’ai deux heures à tuer et j’aime débattre. 

La cinquantaine sportive, le bonhomme – très sympathique – m’a d’abord rappelé les arguments classiques contre la pratique de la moto verte : tu pollues, tu fais du bruit, tu fais fuir les zolis zanimaux, tu écrases des gentils randonneurs, tu abîmes les chemins, tu fous le feu. Bref, tu emmerdes tout le monde. Et en plus, vu que c’est interdit dans la plupart des endroits, t’as les flics au cul. Bienveillant, il m’a alors conseillé de me mettre au VTT.

Je lui ai répondu que personnellement j’étais au moins autant passionné de VTT que de moto mais que c’était comme proposer d’aller faire du saut-en-hauteur au lieu de faire du saut à la perche. Ce sont deux sports géniaux, mais très différents, l’un n’est pas la version « light » de l’autre. J’ai ensuite précisé que j’étais moi-même randonneur à mes heures (West Highland Way l’an passé, un bout du Compostelle au programme cet été) et que je comprenais les préoccupations du type en sac-à-dos qui veut entendre le gazouillis des oiseaux. Mais qu’en revanche, je ne comprenais pas pourquoi ce dernier avait le droit de se réserver l’usage d’un chemin public (oui, les chemins de terre appartiennent à l’Etat, donc à tous) sous prétexte qu’il en est un « meilleur utilisateur ». Que cela induisait une supériorité d’une sorte d’usagers sur l’autre, donc un homme plus libre qu’un autre.

Étonné, il m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui ai dit que j’étais un prof d’histoire tout ce qu’il y a de plus boboisé et bien-pensant. Là, il ouvre des yeux encore plus grands : Ciel ! Il n’a pas affaire à un des ces beaufs de la cambrousse. Mais pourtant, c’est ce que sont tous les motards en tout-terrain, non ?

Justement Monsieur, il se cache derrière cet ostracisme du motard sur chemin – apparu en l’espace d’une génération – une véritable et détestable domination de classe. Au randonneur des beaux quartiers parisiens, ou au néo-rural moralisateur en mocassins, le droit d’aller exhiber sa garde-robe du Vieux Campeur dans une nature vierge et immaculée. Au plouc local, sans-dents et les mains de pleines de cambouis, l’interdiction formelle d’aller dégrader ces petits morceaux de paradis avec son goût déplacé pour les engins à moteur. La nature c’est beau tu vois, mais il faudrait un certain niveau social et intellectuel pour la savourer.

D’ailleurs, mon interlocuteur m’a suggéré intelligemment d’aller exorciser mes besoins de Paris-Dakar dans des contrées lointaines ayant – j’ai adoré l’expression – « moins de normes ». Donc, en gros mec, t’es écolo mais qu’en France. Ailleurs on s’en tape, c’est des pauvres de toute façon. Et là encore, je peux te ressortir le couplet marxiste, puisque ce n’est pas le prolo, ni le « dj’euns » comme moi, qui a les moyens de partir à Katmandou faire de la Royal Enfield.

Je lui ai concédé, qu’en effet, des gros cons de motards roulaient comme des dingues sur des sentiers. Mais qu’en même temps, des abrutis de randonneurs laissaient leurs poubelles dans la nature quand ils ne foutaient pas le feu avec leurs réchauds. J’en ai même vu – complètement bourrés – cramer sans faire gaffe leur tente l’été dernier en Écosse. S’il y a bien quelque chose d’universel en ce bas-monde, c’est la connerie. Mais est-ce parce qu’un type a merdé que tu dois condamner tous les autres ? Pas très bobo comme état d’esprit ça… Moi je n’en veux pas aux randonneurs, je les comprends, j’en suis même un comme je le disais plus haut. Et j’ai la folie de croire que la France est un territoire assez grand et merveilleux pour pouvoir tous y vivre nos passions sans se gêner, ou tout au moins en se tolérant. Croiser une moto, à faible allure, sur un large chemin, ça ne gâche jamais que 3 minutes de paysages et de bruits de la nature, non ? Le bon-sens, ça vaut toutes les lois…

Cela dit, je pense que, comme toujours, si on veut faire changer les choses, il faut commencer par être soi-même exemplaire. Là ce sont mes 10% prof d’éducation civique qui parlent. J’ai donc expliqué à mon randonneur quel type d’enduriste j’étais. Je lui ai dit que j’avais investi dans un quatre-temps bien coupleux plutôt que dans un petit deux-temps braillard. Que je ne faisais pas la course (il y a des circuits ou des compètes pour ça) mais de la randonnée tranquille. En gros un peu comme un type sur un canasson . Que je m’arrêtais et saluais lorsque je croisais des promeneurs ou des bourricots (je suis près du Stevenson). Enfin, carte IGN stabilotée à l’appui, je lui ai montré à quel point je me creusais en permanence la cervelle pour ne jamais franchir la ligne verte des parcs naturels et privilégier les larges chemins forestiers (les camions y passent, alors pour les abîmer avec une bécane, tu peux te lever tôt) aux monotraces. Que mon objectif – comme lui – était d’accéder à des paysages uniques et évoluer sereinement dans la beauté de la nature. Et qu’avec mes nombreux arrêts « crampes de l’œil » j’arrivais même à entendre les oiseaux chanter à travers mon jet. Je lui ai dit qu’avec mon modeste blog j’allais essayer de valoriser cette pratique « pacifiste » de la moto verte, ne pas être un « pilote » mais juste un randonneur… à moto.

D’ailleurs, j’envisage depuis quelques mois d’organiser une balade TT (Très Tranquillou) dans cet esprit là avec ceux qui le souhaiteraient. Je vous préviendrai une fois que j’aurai finalisé un beau et long parcours off-road. Préfecture ? Mairie ? Pourquoi faire ? Quand tu pars marcher avec tes copains, tu préviens le ministre toi ? Ce sera donc un événement pirate. Mais avec des gentils pirates qui veulent défendre une espèce menacée en voie de disparition : la moto verte.

13 Commentaires

  1. Vous faisez chier les gars, entre toi et Bobo je m’aperçois qu’on a encore plus de points communs que ce je pensais ! J’ai fait une grosse rando en Ecosse l’année dernière moi aussi… J’adore la rando, j’adore l’Ecosse, j’adore le vert.

  2. Ho oui le sticker !! On voit bien là ton côté prof avec la patience dont tu fais preuve pour défendre la bonne cause 🙂
    Je suis entièrement d’accord avec toi. Je suis pour la paix, la tolérance et le monde serait tellement plus agréable si chacun faisait preuve d’un peu d’empathie pour comprendre et accepter les autres tout en étant capable de se fixer ses propres limites…
    Je suis à fond motivée pour ta balade TT ! En espérant être dispo qd tu auras arrêté la date ou bien lors de la prochaine !

  3. Belle analyse ! j’ai eu il n’y a pas longtemps une discussion avec des promeneurs en forêt (une foret que je fréquente depuis 40 ans ) qui me disaient que je polluais et que j’abimais les chemins ( avec une trial qui consomme 2 litres pour 4 heure d’utilisation ) je lui ait demandé si il pouvait me montrer les traces de l’endroit où j’étais passé et il fut incapable de montrer les traces ( les pneus trial ne creusent pas le sol ) . En repartant je me suis aperçu qu’ils roulaient avec un gros 4X4 V6 …et ces gens là sont des donneurs de leçons . On crois rêver ….

  4. Bonsoir Cigalou !
    Comme d’habitude égale à toi même ! même qualité de  » prose » qui déclenche l’envie de lire , de rêver ! Ta philosophie sur la moto verte , est !! ma philosophie !! Quant tu auras les dates pourquoi pas !! j’aimerai renouer et partager avec vous ce modes de pratique ( moto nature !! ) Encore merci pour le partage !
    A bientôt

  5. content de voir que les passionnés de moto verte ont encore du talent pour communiquer, l’envie de continuer à vivre leur passions et des idées pour améliorer notre image, j’aurais vraiment aimé être capable d’écrire ça, avec de bons arguments, sans vindicte stérile.
    Pour la TT, ça me plairait aussi, j’espère pouvoir y participer un jour!
    à bientôt dans les chemins…

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